La rude bataille du bulletin vert

À Saint Louis, dans le Missouri, une militante et ex-candidate écologiste se bat pour alerter ses compatriotes sur l’urgence environnementale, dans un contexte local dominé par les conservateurs. Reportage.

Xavier Frison  • 23 octobre 2008 abonné·es

*Lire aussi **Vermont, l’Etat rebelle

Illustration - La rude bataille du bulletin vert

Cinq minutes après que l’on a franchi sa porte, criblée de messages anti-Bush, en ayant pris soin d’esquiver les crocs menaçants du chien du voisin, « un Républicain » , Lydia Lewis est déjà intarissable : « L’État protège les entreprises, pas les personnes » , lâche-t-elle du haut de ses 62 ans dans un français très honorable, parfois mâtiné d’allemand et de russe. Membre du Parti progressiste du Missouri, affilié au Parti vert, elle a mené deux campagnes électorales par le passé. L’une en 2004 pour un poste de représentante locale de l’État du Missouri (environ 700 votes sur 10 000 votants), l’autre en 2006 pour le poste de représentante au Congrès de Washington (18 000 votes pour un million de votants) : « J’ai été invitée à un seul débat » , lâche-t-elle sans amertume. Le vrai sujet d’inquiétude, pour Lydia, ce sont les questions environnementales dans le Missouri.

Illustration - La rude bataille du bulletin vert


Lydia Lewis, 62 ans, milite pour le Parti vert. Olivier Zanettin

À l’ouest de Saint Louis, une centrale nucléaire vieillissante concentre toutes les angoisses : « Il y a de la radioactivité en sous-sol, mais la construction d’une nouvelle centrale est programmée. Si nous ne mourons pas tous, ce sera un miracle. » Mosaic, le chat de Lydia, un progressiste bon teint, semble opiner du chef. Dans les zones pauvres de Saint Louis, au nord de la ville, « il y a du plomb dans la peinture » des habitations. Juste à côté du Mississipi, au sud de l’État, « on est en train de construire une cimenterie, ce qui est très mauvais pour l’eau, les plantes, l’air et le paysage » . Autre tache dans l’écosystème local, « la petite ville touristique de Times Beach, 2 500 habitants, a été totalement évacuée en 1985 après que l’huile projetée pendant des années sur les chemins de terre pour fixer la poussière a projeté trop de dioxine » . Enfin, un pesticide contre les moustiques, très agressifs dans la région, a raté sa cible et occis d’autres insectes. Résultat, les moustiques nuisibles, débarrassés de leurs prédateurs, prolifèrent.
Autant de questions écologiques locales qui ne semblent pas bouleverser la majorité des citoyens du Missouri : « Les gens ici commencent à se dire que le réchauffement climatique, c’est peut-être vrai. Mais ils sont surtout concernés par le prix de l’essence. » Dans un pays où le moindre déplacement s’effectue en voiture, où chaque espace clos est glacé par la climatisation, les Américains sont-ils prêts à entendre parler de décroissance ? « Les Américains vivent confortablement, et je doute qu’ils aient envie de changer leurs habitudes. Pour eux, la décroissance, c’est vivre dans une cave. Et puis il y a ce que j’appelle “le facteur testostérone”, qui fait qu’ils adorent rouler dans d’immenses voitures. Ils aimeraient qu’elles consomment très peu, mais ce n’est pas possible. »
Lydia croit cependant dans la capacité de réaction de ses compatriotes : « Le peuple américain est avant tout un peuple pratique. Quand c’est nécessaire, il sait faire beaucoup de choses très vite. Pendant la Seconde Guerre mondiale, en un an, on est passé de la production de frigos à celles de matériel militaire. J’espère que les gens vont prendre conscience que nous sommes dans la même urgence pour l’environnement. »

Cynthia McKinney, la candidate du Green Party (Verts) à l’élection présidentielle, aura bien besoin d’un tel éveil collectif. « Politiquement, socialement, sur le plan ­environnemental, je pense qu’elle a de vrais atouts, analyse Lydia Lewis. J’aime aussi le fait qu’elle a été l’une des rares au Congrès à voter contre la guerre en Irak. En tant que femme noire, elle va également attirer les Afro-Américains que le Parti vert a eu du mal à convaincre dans le passé. Beaucoup de Noirs semblent être mariés aux Démocrates ; et, alors que ce parti glisse de plus en plus vers la droite, il pense que le vote des Noirs et de tout Américain qui n’est pas riche lui est acquis. Peut-être que McKinney peut leur ­montrer que le Parti vert est une alternative viable. »
Sur les faiblesses de la candidate écologiste, Lydia relève que McKinney est « parfois vue comme un électron libre un peu incontrôlable » . Mais la militante verte souhaite voter pour elle « aussi longtemps que le Missouri restera enferré dans le duel McCain-Obama » . Pourtant, dans cet État clé, scruté par la Nation tous les quatre ans pour avoir choisi le futur Président quasiment à chaque élection, Lydia se réserve la possibilité de choisir Obama, « au cas où l’élection apparaisse très serrée. Je ne peux pas laisser le Missouri à McCain ». Dans le voisinage de Lydia Lewis, des familles blanches de ­cadres moyens, Obama dérange. « Il est Noir, son nom, Obama, est bizarre, son deuxième prénom est Hussein, et puis est-il vraiment catholique ? Voilà ce que disent les gens ici. Je leur réponds : “Et alors ? Ce qui compte, ce sont les idées.” »
Combative, Lydia Lewis pourrait se représenter aux élections locales, si une santé précaire et le besoin viscéral de « prendre des cours, apprendre, voyager » , n’avaient raison de ses velléités. Mais, enfin, « je serais meilleure que n’importe quel Républicain, donc, s’il le faut, je me présenterai ».

Monde
Temps de lecture : 5 minutes