Un comte sachant conter

Nouveau trublion du one man show, le comte
de Bouderbala raccorde avec jubilation l’intime
et l’universel.
À l’Alhambra, à Paris.

Jean-Claude Renard  • 17 novembre 2011 abonné·es

Le garçon est poli. Et commence par se présenter. Il est « le seul Arabe né avec une tête de Portugais et un corps de Turc » . Faudra bien faire avec. Nom de scène : Bouderbala. Titre de noblesse : comte. Résidence : Saint-Denis. Bourdebala signifiant en arabe « guenilles », ou « haillons », Saint-Denis abritant ses rois de France et ses gueux. Voilà qui augure du reste sur une scène dépouillée, sans décor, sans accessoires, sans artifices. Et le comte fameux d’attaquer en touches impressionnistes par les nouveaux modes de drague sur les sites de rencontres et les réseaux sociaux. Avec ses clampins crâneurs maladroits, ses bonimenteurs ridicules.

Passé ce tour de chauffe, l’ordonnance du démiurge se fait sévère. Et drôle. Le comte de Bouderbala égrène la place des Arabes dans les médias, ou plutôt la mauvaise place qu’on veut bien leur attribuer, les expulsions des sans-papiers, l’Éducation nationale et ses filières qui ne mènent nulle part, le basket américain, les prestigieux Lakers face aux Cerclistes dépités de Limoges, la remise des diplômes en France et outre-Atlantique, les Roms, ces cancres de la mendicité en mal de com, le syndicat des flics gays, Cheb Mami, « chanteur obstétricien », la bêtise crasse des supporters, les séries françaises, avec Joséphine ange gardien et ses « dix millions de téléspectateurs ; c’est dire si la France va mal ! » , Pôle emploi, « où l’on te regarde avec un mélange de pitié et de satisfaction avant de te proposer une offre magnifique : un pré-stage ­d’insertion d’emploi jeune intérimaire, à durée illimitée, non rémunéré mais payant, en Roumanie… Est-ce que la vaseline est offerte ?… »

Au gré du vent, mauvais ou pas, le héraut des guenilles convoque encore l’antisémitisme, « la cerise sur le ghetto » , et les joueurs de foot qui, « à défaut de grives, mangent du merlan, se méfient de l’eau qui ronfle, prennent les matchs les uns après les autres, des fois qu’ils les joueraient tous en même temps ! » Tout y passe, haché menu, au pressoir ensuite. Quand tombe l’intégration, le comte s’insurge. « Ça va durer encore combien de temps ces conneries ? C’est quoi une personne intégrée ? Une personne qui bosse dur et ferme sa gueule ? Désolé, tout le monde ne peut pas être chinois ! Ces Chinois qui font tout mieux et moins cher. J’attends avec impatience l’arrivée des prostituées chinoises ! » Le bougre passe du coq à l’âne. Ou l’inverse. En apparence, pas de sketch identifié, indépendant l’un de l’autre. Et mine de rien, tout se tient et se contient. Au fil de la vie. La sienne d’abord.
Le comte de Bouderbala déploie son récit comme on décline une identité.

Puisant dans son existence la matière et les ressorts de son spectacle. Sami Ameziane, de son vrai nom, est né en 1979 de parents algériens, à Saint-Denis. De fait, il possède « la double nationalité et deux passeports. L’un français pour voyager dans le monde entier, l’autre algérien pour se faire arrêter dans le monde entier. » Encore adolescent, un échange scolaire lui permet de filer aux États-Unis. Hardi petit ! Tout en poursuivant ses études, jusqu’à une maîtrise de langues étrangères appliquées (anglais-italien), il devient basketteur, intègre l’équipe universitaire semi-professionnelle du Connecticut, joue pour la ­sélection nationale algérienne. Puis il enseigne aux États-Unis, en France, en vacataire qui, à l’instar d’un joueur de foot, attend « qu’un titulaire se fasse égorger » .

C’est aussi aux États-Unis, sur les planches de clubs ­new-yorkais, qu’il se frotte à la scène. Il existe pire apprentissage pour « se former à la repartie, à l’écriture d’un texte, au rythme, à ses constructions et ses déconstructions ». L’arpète au repos des paniers intègre plus tard et quelque temps le Jamel Comedy Club, repique dare-dare à l’indépendance et se produit en première partie d’un vieux pote des bancs d’école, Grand Corps malade. Autre exercice : repéré par Pascale Clark en 2010, il signe deux chroniques hebdomadaires pour son émission « Comme on nous parle ». La direction d’Inter lui propose la chronique ­humoristique de la matinale. Sans façons. Il décline.

Sur scène, et devant un public qui vient autant des cités de banlieue que des quartiers parisiens bobos, il truffe le curriculum vitae d’anecdotes, de pas de côté, de détails autour des grands thèmes de société. Avec un sens exact de l’observation. Qui n’empêche pas le rebond acerbe, le Bescherelle en guise de ballon rond, livrant un comique atrabilaire, caustique.
En touche finale, il tacle les rappeurs (de Doc Gynéco à Sefyu) au phrasé lumineux de bulots. L’ancien prof a conservé le goût des corrections. Pour rendre une copie parfaite.

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