« Rester vertical », d’Alain Guiraudie : Vivre avec les loups

Rester vertical, le nouveau film d’Alain Guiraudie, met un scénariste en panne aux prises avec des loups, une naissance, un suicide et des hommes. Un film drôlement existentiel.

Christophe Kantcheff  • 24 août 2016 abonné·es
« Rester vertical », d’Alain Guiraudie : Vivre avec les loups
© Photo : Thierry Valletoux.

Le personnage principal de Rester vertical est cinéaste ou scénariste. Léo (Damien Bonnard, qui n’est pas, physiquement, sans faire penser à Alain Guiraudie lui-même) sèche sur un scénario, alors qu’il fait croire à son producteur que sa rédaction avance. Pour autant, Rester vertical n’est pas une mise en abyme de la difficulté d’écrire. C’est une projection, un fantasme : qu’est-ce qui pourrait happer un cinéaste pour le détourner de l’écriture ? À moins d’y être contraint, comme l’est Léo pendant un temps, tenu enfermé par son producteur – mais ce qui donne à ses yeux un piètre résultat.

Première réponse : les loups. Une fascination pour cet animal qui menace les brebis sur un causse de Lozère. Léo marche dans ce -paysage magnifique, rencontre la fille d’un berger, Marie (India Hair). Et, ni une ni deux, les voici au lit. Bientôt, Marie attend un enfant. Gros plan, comme rarement on l’a vu au cinéma, sur l’enfant sortant du ventre de sa mère. « Rester vertical », mais aussi « rester frontal », chez Guiraudie, qui continue en outre à cadrer les sexes plein pot.

Deuxième réponse : un bébé refusé par sa mère, Marie, qui s’enfuit. Père célibataire, finalement heureux de cette situation, mais soucieux des cris trop fréquents de l’enfant, Léo consulte une improbable guérisseuse de bébés (très drôle Laure Calamy), dont le curieux cabinet se trouve au fin fond du marais poitevin.

Troisième réponse : les hommes. Vieillissants, en l’occurrence. Comme celui (Christian Bouillette), acariâtre et solitaire, qui écoute les Pink Floyd à fond dans sa maison, et dont s’occupe un giton peu fiable (Basile Meilleurat). Léo lui rend visite quand il a décidé de mettre fin à ses jours. Ce qui donne une séquence extraordinaire : Léo l’accompagne dans son suicide en lui faisant l’amour, en même temps que le vieil homme avale un poison. Cet acte est d’une infinie tendresse. Mais, le lendemain, la une du journal local affiche un titre stupide, comme peut l’être la réalité passée au tamis médiatique, et en même temps d’un impeccable humour noir : « Il sodomise un vieillard puis l’euthanasie sous les yeux de son bébé. »

Léo côtoie un autre homme, le père de Marie, Jean-Louis (Raphaël Thiéry, première apparition au cinéma, une gueule incroyable, à la présence typiquement guiraudienne). Aussi inquiétant que fondu de désir pour Léo, il tient sa bergerie attaquée par les loups comme un cow-boy le ferait avec son bétail dans le Far West, le fusil à la main, prêt à tout pour défendre ses brebis.

Après L’Inconnu du lac (2013) – couronné d’un succès amplement mérité –, Alain Guiraudie semble avoir voulu inverser la donne. Là où, dans le film précédent, il y avait unité de lieu et d’action, et la présence trouble d’un malin, Rester vertical est géographiquement éclaté – entre la Lozère, le marais poitevin et, curieusement, Brest, où se passent la plupart des scènes qui évoquent l’argent (quand Léo en réclame à son producteur, négocie avec sa banque ou en donne à un mendiant). Ces césures géographiques font écho aux ruptures et incompréhensions qui traversent le film. Comme ce clivage à propos du loup, métaphore d’autres affrontements, qui oppose ceux qui souhaitent sa sauvegarde aux tenants de son extermination.

Dès lors, n’y a-t-il pas urgence à « rester vertical » face à ce qui se délite dans les solidarités horizontales ? C’est-à-dire ne pas (se) débander – l’évidente allusion sexuelle du titre rejoint l’injonction politique, comme toujours chez Guiraudie. Ou recoller les morceaux, autrement dit susciter des récits fédérateurs, faire émerger des utopies. Rester vertical touche à des questions existentielles : la naissance, le suicide, l’innocence (le nouveau-né autant que la brebis), la solitude, le danger de mort… C’est un film matériel et métaphysique, évident et mystérieux, qui, sans y toucher, fouaille nos intimes faiblesses.

Cinéma
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