La chute du mur de Paris, c’est pour quand ?

Ce mur-là n’empêche pas le peuple de sortir, il protège l’oligarchie de tout contact avec le peuple.

Éric Hazan  • 26 novembre 2009 abonné·es

Personne n’avait vu venir la chute du mur de Berlin. Ceux qui se seraient hasardés à la prédire auraient été traités d’illuminés, sinon pire. Le communisme de caserne était un système regrettable mais solide, et d’ailleurs l’Armée rouge était la première du monde. Pour des raisons qui ne sont pas si éloignées, personne aujourd’hui n’imagine la chute du mur de Paris – personne sauf quelques rêveurs, paradoxalement tenus pour si dangereux qu’on les met parfois en prison, les accusant d’écrire des livres et de répandre la terreur.

Les membres de l’oligarchie au pouvoir mènent toutes leurs activités à l’intérieur du mur de Paris. Ils n’en sortent que rarement et s’entourent alors de mille précautions. Comme le regretté Erich Honecker lorsqu’il visitait une aciérie du côté de Halle dans les années 1980, le président Sarkozy ne se rend dans une usine qu’une fois assuré d’avoir en face de lui des ouvriers dûment sélectionnés. Ces précautions n’étant pas applicables partout, certains lieux hors du mur lui sont interdits, comme la dalle d’Argenteuil ou la jungle de Villiers-le-Bel.

Le mur de Paris ne fonctionne pas dans le même sens que feu le mur de Berlin (dont Erich Honecker prédisait qu’il serait encore là dans cinquante ou même cent ans). Il n’empêche pas le peuple de sortir : son rôle est de protéger l’oligarchie de tout contact direct avec le peuple. Sa structure, au lieu de parpaings et de béton, repose sur des matériaux plus subtils comme les vitres teintées des voitures de fonction, mais l’arrogance, le cynisme et le mensonge sont des éléments communs avec le bouclier de la RDA. Sur le glacis du mur de Paris, dans les banlieues, la police au service de l’oligarchie n’atteint malheureusement pas à la dextérité des Vopos sur le mur de Berlin, sauf dans quelques occasions baptisées bavures, qui se font plus fréquentes ces derniers temps.

Comme naguère leurs confrères de la Neues Deutschland , les journalistes français évitent de s’étendre sur les fissures qui apparaissent dans le mur, d’autant qu’elles se produisent surtout sur sa face extérieure, invisible depuis les quartiers des ministères et de la presse aux ordres. Une manifestation violente sera qualifiée de « désordre provoqué par des casseurs » . Les séquestrations de patrons, la mise à sac d’une sous-préfecture par des ouvriers, le blocage des facultés par les étudiants et les enseignants seront traités le plus brièvement possible, déformés ou si possible ignorés. Point n’est besoin de censure : formatés pour la plupart dans des écoles où on les a nourris du lait libéral, ceux qui parlent ou écrivent dans les grands médias vivent eux aussi sous la protection du mur et participent activement à son maintien.

Il est probable que l’écroulement du mur de Paris se passera lui aussi sans effusion de sang. Toutefois, il ne sera pas facile de protéger contre la fureur du peuple certaines personnalités du régime, comme celles qui ont récemment proposé la castration physique de certains êtres humains, la définition d’une identité française, le couvre-feu pour les mineurs récidivistes de moins de 13 ans ou l’imposition des indemnités pour accidents de travail. Mais sans doute ces dignitaires sauront-ils se mettre à l’abri à temps. Erich Honecker avait fini d’user ses costumes gris au Chili. On imagine les dirigeants du sarkozysme, qui ne sont pas aussi ringards, gagnant des paradis fiscaux comme des traders frauduleux. On trouvera leur trace aux îles Caïman ou à la Barbade, où, sous les palmiers, ils pourront méditer sur la fragilité de tous les murs depuis la muraille de Chine.

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