Sous contrôle

« Femmes du Caire » montre l’oppression des femmes sans manichéisme, de manière enlevée et sensuelle.

Christophe Kantcheff  • 6 mai 2010 abonné·es

Femmes du Caire commence par un cauchemar. Un vrai, qui vient envahir Hebba (Mona Zaki) dans son sommeil : une visite oppressante de son propre appartement. « Il n’y a pas de porte ! » , s’écrie-t-elle, en se réveillant brutalement. En effet, dans l’appartement vaste et confortable qu’elle partage avec son mari, on peut circuler sans entraves. Conception moderne d’un intérieur qui a un inconvénient majeur : les espaces d’intimité sont fragiles, exposés en permanence aux intrusions.
Il n’est pas interdit d’y voir un symbole de l’état des consciences en Égypte, pénétrées, travaillées, écrasées par l’extérieur, les règles sociales, le poids de la tradition, les différents pouvoirs d’oppression. Il est par conséquent « naturel », dans un premier temps, de s’y conformer, d’être dans le rang.

C’est le cas d’Hebba et de Karim (Hassan El Raddad), mariés depuis quelques mois. La première anime une émission de télévision où elle titille des personnalités politiques. Le second est journaliste dans un quotidien d’État, où il aspire à devenir rédacteur en chef. Ce qui le rend vulnérable aux pressions de personnages influents exigeant de lui qu’il fasse en sorte que sa femme s’intéresse à des sujets plus futiles. Dès lors, tout bascule.
En invitant des femmes anonymes à raconter des événements qui ont marqué leur vie, talk-show a priori anodins, Hebba fait des émissions explosives. Ainsi, le film raconte successivement l’histoire de trois femmes : une maniaco-dépressive restée vierge malgré sa beauté et de nombreux prétendants ; une autre, meurtrière d’un jeune homme qu’avec ses deux sœurs elle avait désigné comme leur prétendant ; enfin, une bourgeoise romantique tombée dans les rets d’un riche ­maître chanteur.

L’oppression des femmes est évidemment au cœur du film de Yousry Nasrallah. Mais l’auteur de la Porte du soleil (2004) traite le sujet à sa manière, enlevée, sensuelle, instillant des épisodes de comédie, évitant pathos et manichéisme, qui transformeraient les femmes en blanches colombes et les hommes en bourreaux systématiques. Comme le cinéaste le souligne dans l’entretien ci-contre, la violence et le cynisme des relations sont les produits d’un système social, qui interdit ou rend suspectes les manifestations directes d’amour. Le couple que forment Hebba et Karim en est l’illustration parfaite. Entre eux, tout est négocié pied à pied, tandis que les plaisirs de la vie sont des moyens de contrôle plus que d’épanouissement. Jusqu’à ce qu’Hebba rejoigne elle-même la cohorte des femmes qu’elle a interviewées pour avoir vécu… un cauchemar.

Culture
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