Une guerre peut en cacher une autre

Un récit du soulèvement du Cameroun contre la France coloniale et de la répression qui s’ensuivit.

Denis Sieffert  • 20 janvier 2011
Partager :

La « Françafrique » : reparlons-en ! Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa nous en reparlent, précisément, au fil d’une enquête rigoureuse, fruit de quatre ans de travail, et qui ne doit pas être loin d’être exhaustive sur cette guerre cachée que la France a menée dans les années 1950 et 1960 au Cameroun. Leur ouvrage – une somme de 700 pages – n’est pas seulement un livre d’histoire. C’est un livre « pour l’histoire » qui bouscule notre mémoire officielle. C’est une récusation du mythe d’une décolonisation de l’Afrique française qui – par opposition au Maghreb – aurait été pacifique et exemplaire.

C’est le récit d’un soulèvement héroïque, celui de l’Union des populations du Cameroun, qui, à partir de 1948, a mené contre les autorités françaises une véritable guerre d’indépendance, sous l’étendard de ce « Kamerun » évoquant le protectorat allemand d’avant la Première Guerre mondiale, et d’avant le partage franco-britannique. Les auteurs font revivre les figures héroïques de ce soulèvement, Ruben Um Nyobé, assassiné en 1958, Félix Moumié, tué en 1960, et Ernest Ouandié, liquidé en 1971, c’est-à-dire bien après l’indépendance officielle, acquise en 1960. Car, cette guerre, les indépendantistes camerounais ne l’ont pas gagnée. Puisque la France gaullienne, rassérénée, a pu finalement installer au pouvoir ses hommes liges, Ahidjo et Biya – ce dernier, toujours là…
Une guerre peut en cacher une autre : l’écrasement du soulèvement camerounais, principalement dans deux régions, la Sanaga-Maritime et le pays Bamiléké, est quasiment gommé de l’histoire par l’Algérie.

Que de ressemblances pourtant ! On y retrouve les mêmes mots pour délégitimer la révolte – le « terrorisme », notamment –, le même personnel politique, un certain François Mitterrand, ministre de l’Intérieur de la IVe République, par exemple et, surtout, les mêmes méthodes : la torture, la terreur des populations, les coups tordus, le napalm… Le tout à l’abri des regards occidentaux. Et c’est sans doute ce qui fait la différence. L’Algérie est à quelques encablures de notre côte méditerranéenne ; il y vivait plus d’un million de colons, dans un chassé-croisé de population avec les Algériens de France qui faisaient tourner nos usines d’automobiles. L’Algérie confisquait toute l’actualité, et une grande partie de la conscience anticoloniale aussi. Or, on sait que c’est à Paris, plus que sur le terrain militaire, que la France a perdu cette guerre d’indépendance. Pendant que le Cameroun était livré sans retenue à la barbarie coloniale. Même s’il faut, au chapitre des comparaisons, rendre hommage au réseau Curiel, solidaire autant qu’il fut possible, à partir d’une rencontre entre le communiste égyptien et ce personnage étrange et fascinant, l’évêque Albert Ndongmo. Car, c’est cela aussi ce livre, la découverte de personnages méconnus auxquels il était plus que temps de rendre justice.

Kamerun !, Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, La Découverte, 742 p., 25 euros.
Idées
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Qui a peur du grand méchant woke ?
Idées 29 octobre 2025 abonné·es

Qui a peur du grand méchant woke ?

Si la droite et l’extrême droite ont toujours été proches, le phénomène nouveau des dernières années est moins la normalisation de l’extrême droite que la diabolisation de la gauche, qui se nourrit d’une crise des institutions.
Par Benjamin Tainturier
Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »
Entretien 29 octobre 2025 libéré

Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »

Spécialiste du mouvement ouvrier français et du communisme, l’historien est un fin connaisseur des divisions qui lacèrent les gauches françaises. Il s’émeut du rejet ostracisant qui les frappe aujourd’hui, notamment leur aile la plus radicale, et propose des voies alternatives pour reprendre l’initiative et retrouver l’espoir. Et contrer l’extrême droite.
Par Olivier Doubre
Travailler, penser, écrire depuis les quartiers populaires
Idées 24 octobre 2025 abonné·es

Travailler, penser, écrire depuis les quartiers populaires

Face aux clichés médiatiques et au mépris académique, une génération d’intellectuel·les issu·es des quartiers populaires a pris la parole et la plume. Leurs travaux, ancrés dans le vécu, mêlent sciences sociales, luttes et récits intimes. Ils rappellent que depuis le terrain des quartiers on produit du savoir, on écrit, on lutte.
Par Olivier Doubre
Pourquoi les droits des animaux interrogent notre humanité
Droit 23 octobre 2025 abonné·es

Pourquoi les droits des animaux interrogent notre humanité

Depuis 2015, le code civil français reconnaît les animaux comme des êtres vivants doués de sensibilité. Une évolution en lien avec une prise de conscience dans la société mais qui soulève des enjeux éthiques, philosophiques et juridiques fondamentaux.
Par Vanina Delmas