Raconteur d’histoires

Une rétrospective de Sergio Larrain. Des images marquées par la géométrie, suscitant le récit.

Jean-Claude Renard  • 10 octobre 2013 abonné·es

«U ne bonne image naît d’un état de grâce. » Allons donc ! La formule est de Sergio Larrain (1931-2012). Ne serait-ce pas là une définition de la photographie ? Affaire d’instantané, assurément. La preuve par l’image, parmi la bonne centaine, en noir et blanc, exposée à la Fondation Henri-Cartier-Bresson, à Paris : un couple au coin d’une rue, à Potosi, en Bolivie (1960), partagé entre l’ombre, la lumière et l’angle droit d’un mur ; une gamine de Corleone, en Sicile (1959), s’imposant (sans doute) furtivement au premier plan dans l’objectif cadrant la perspective d’une ruelle pentue, animée par ses passants (forcément éphémères), âne compris, avec ses maisons blanchies à la chaux, écrasées par le soleil.

Deux autres images encore : une jeune femme souriante, dans un bar de Valparaiso, au Chili (1963). À sa gauche, se distinguent nettement six bouteilles de Limon Soda, tandis que, devant elle (c’est-à-dire devant l’objectif), le buste d’un homme remplit un tiers du cadre de l’image. Ailleurs : un vol d’oiseaux au-dessus de Trafalgar Square (1958). Les battements d’ailes secouent la purée du ciel londonien. Un homme regarde une femme presque juchée sur le monument dédié à l’amiral Nelson. En retrait, deux mouflets sur les marches regardent la scène.

La photographie de Sergio Larrain est géométrique. Avec ses courbes, ses jeux de lumière, ses angles, ses continuités, ses coupes franches et sèches, ses ruptures. L’image de ces gosses affalés sur un parapet de l’île de Chiloé, au Chili (1957), dont l’objectif ne cadre que les membres, en témoigne ; comme celle de ce bourgeois de la City, en haut-de-forme, sous la flotte (1958), dont le visage est barré par l’encadrement d’une fenêtre. La filiation de Larrain avec Henri Cartier-Bresson est évidente, en fils d’architecte qu’il était, élevé dans la bourgeoisie chilienne. Avec ce quelque chose de fascinant dans ses images : cette capacité à raconter une histoire. Capacité évidente dans les images de ce bar de Valparaiso, dans le village de Corleone. Entré à l’agence Magnum au début des années 1960, soutenu justement par HCB, Larrain n’y restera pas longtemps, fuyant les représentations, préférant vivre seul sa quête spirituelle, entre yoga, peinture, textes, expériences artistiques diverses. C’est là que sa définition de la photographie prend tout son sens.

Culture
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