Où sont passés les lycènes bleus ?

Des milliers de volontaires participent à des programmes de collecte d’informations sur des espèces végétales et animales, pour aider les scientifiques dans leurs recherches.

Claude-Marie Vadrot  • 24 juillet 2014 abonné·es
Où sont passés les lycènes bleus ?
© Photo : Stéphane Vitzthum / Biosphoto

Les responsables de l’association universitaire Tela Botanica ont lancé une opération de bénévolat afin de regrouper un maximum d’informations sur l’évolution des espèces végétales. Ils animent un réseau et un site collaboratif réunissant amateurs et botanistes universitaires1. Ainsi, depuis le mois de mai, les coquelicots sont attentivement surveillés par des volontaires de la biodiversité. Pour les 665 participants ayant déjà envoyé leurs observations, il s’agit de signaler le début et la durée de floraison desdits coquelicots sur un espace (rural ou urbain) d’une vingtaine de mètres carrés. Les scientifiques du CNRS et de l’Institut de botanique de l’université de Montpellier font le reste. Les éléments recueillis seront ainsi comparés aux observations séculaires dont ils disposent, et l’analyse se poursuivra chaque année. Objectif : mesurer les influences du réchauffement sur la végétation ordinaire, puis évaluer les chances de survie de certaines espèces sauvages sous l’effet des modifications du climat, de l’artificialisation des sols et de l’épandage d’herbicides (comme le Roundup, de Monsanto). Cet appel aux volontaires et la collecte d’informations par Internet permettent de pallier la diminution du nombre de scientifiques voués à l’évolution de la biodiversité. Faute de crédits pour la recherche, leurs activités sont en effet considérées comme « non rentables » depuis des années. Une constatation qui avait incité l’association Noé Conservation2 et le Muséum national d’histoire naturelle à lancer, dès 2006, une première opération d’observations et de comptage. Associant un public de volontaires, elle portait sur des papillons menacés par l’épandage d’insecticides sur les terres agricoles, les parcs urbains et les jardins. Ceux-ci disparaissent dans des proportions ignorées par les rares entomologistes universitaires encore en activité. Il était donc nécessaire de faire le point, d’autant que les insectes sont une composante essentielle de la biodiversité, y compris les moustiques ou les guêpes !

Depuis son lancement, le « programme papillons » a permis d’accumuler 1 400 000 observations sur les 28 espèces proposées à la surveillance, dont 128 000 en 2013. Un chiffre qui augmente chaque année. Les participants s’enquièrent des lycènes bleus, des paons du jour, des vulcains ou encore des citrons, ces petits papillons jaunes dont l’envol annonce le printemps. Les premières cartes de répartition, dans les jardins comme dans la nature sauvage, établissent que certains papillons sont plus fréquents en ville que ne le pensaient les spécialistes, mais que la disparition d’autres espèces correspond à la pratique d’une agriculture intensive ou à la monoculture. L’association Vigie Nature3, « réseau citoyen qui fait avancer la science  », émanation du Muséum national d’histoire naturelle, organise elle aussi des suivis d’espèces communes essentielles à la survie des biodiversités locales ou régionales. Des enquêtes participatives sont menées sur les oiseaux, les plantes sauvages, la nature en ville, la chauve-souris ou les escargots. La raréfaction des colimaçons préoccupe les naturalistes depuis une quinzaine d’années ; et l’action conjuguée des ramasseurs d’escargots et des pesticides risque d’être aggravée par l’invasion soudaine d’un ver plat, le platydemus manokwari, espèce invasive originaire de Nouvelle-Guinée qui dévore les gastéropodes. Seule parade : mobiliser les bonnes volontés soucieuses de la biodiversité pour qu’elles identifient les espèces d’escargots encore présentes dans leurs communes, et suivre ainsi la progression du ver ravageur.

Un autre programme de Vigie Nature, « Compet’ à la mangeoire », incite des ornithologues amateurs à repérer les oiseaux qu’ils nourrissent. Vif succès : 8 000 participants depuis un an pour une opération qui a vocation à perdurer. La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) d’Allain Bougrain-Dubourg4 mobilise quant à elle 5 000 bénévoles, sur ses 46 000 adhérents, pour suivre l’évolution des 568 espèces d’oiseaux, nicheurs ou migrateurs, observables sur le territoire français, dont 77 sont menacées. Amateurs éclairés ou simples observateurs de jardins répertorient les espèces d’oiseaux qu’ils connaissent. Ils contribuent ainsi à dresser la carte de France des rapaces, comme le balbuzard, ou de petites espèces comme le roitelet huppé ou le râle des genêts, dont la population ne cesse de diminuer. Les scientifiques de la LPO, en compilant les observations, peuvent évaluer la concentration des espèces, émettre des hypothèses sur la cause des disparitions et constater les modifications des circuits migratoires liées au réchauffement. Grâce à toutes ces initiatives, des volontaires viennent au secours des organismes scientifiques. Et une nouvelle communauté se tisse entre les passionnés de nature et les scientifiques, qui essaime sur le Web.

  1. www.tela-botanica.org  
  2. www.noeconservation.org  
  3. http://vigienature.mnhn.fr  
  4. www.lpo.fr 
Écologie
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