Macron et le SNU : la démocratie au garde-à-vous

Acharné à imposer un dispositif onéreux dont personne ne veut, le chef de l’État veut mettre en œuvre ses fantasmes autoritaires, au grand dam de la jeunesse et des institutions.

Hugo Boursier  • 3 mars 2023
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Macron et le SNU : la démocratie au garde-à-vous
Emmanuel Macron salue des volontaires du SNU, le 8 mai 2022, lors d'une cérémonie à l'Arc de Triomphe, à Paris.
© Ludovic MARIN / POOL / AFP.

Pour remettre de « la confiance dans la vitalité de notre vie démocratique », Emmanuel Macron, lors de ses vœux présidentiels, comptait poser « dans toutes les prochaines semaines les jalons d’un service national universel ». Un comble, pour un programme encadré en partie par des militaires.

C’est surtout la preuve que ce dispositif, annoncé dès le 18 mars 2017 lors de la présentation des mesures du candidat d’En Marche en matière de défense, a, depuis, viré à l’obsession dans la tête du chef de l’État. Car depuis le début du SNU, ni les jeunes, ni les organisations qui les représentent, ni les enseignants, ni les personnels de l’éducation populaire n’en veulent ou n’en voient l’urgence.

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Ce qui préoccupe le locataire de l’Élysée, ce ne sont pas les chiffres des Restos du cœur, dont le président de l’association vient d’annoncer que la moitié des bénéficiaires ont moins de 25 ans, un mois après que les députés macroniens eurent voté contre les repas à 1 euro dans les universités. Ni le taux de chômage des jeunes actifs, deux fois plus élevé que pour le reste de la population. Pas plus le taux de pauvreté qui concerne presque un tiers des 18 à 24 ans en France, selon une étude récente de la Drees. Et ne parlons pas de la confiance en l’avenir, noirci par la crise climatique et les inégalités.

Seul dans son palais, à l’abri de toutes contestations, le président ressasse son unique et grand projet pour la jeunesse.

Seul dans son palais, à l’abri de toutes contestations, le président ressasse son unique et grand projet pour la jeunesse : l’obligation du SNU à tous les élèves de seconde générale et de première CAP. Uniforme, réveil à 6 h 30, lever des couleurs et Marseillaise, activités physiques et discussions autour des « valeurs de la République ». En 2017, Emmanuel Macron n’a-t-il pas dit que ce service « permettra aussi de disposer, en cas de crise, d’un réservoir mobilisable complémentaire de la Garde nationale » ?

Quoique s’en défende le gouvernement, la militarisation du SNU est en marche depuis le début. En 2018, le général Daniel Ménaouine présidait le groupe de travail au plus proche du président. Cinq ans plus tard, une préfète – un corps de métier dont Politis révélait l’absence de liberté d’expression par rapport à l’Élysée –, Corinne Orzechowski, a été nommée déléguée générale au SNU, accompagnée d’un recteur et d’un… général, dont on ignore encore le nom.

Interdiction de passer le bac pendant 5 ans ?

Pour sauvegarder la démocratie, le président de la République songe donc à grossir les rangs de l’armée. Inspiré par les méthodes de la Grande Muette, le dispositif pourrait être obligatoire. Et quiconque s’y opposera en subira les conséquences. Silence dans les rangs ! Le gouvernement réfléchit à plusieurs mesures notamment sur Parcoursup. Voire, selon nos informations, l’interdiction de passer le baccalauréat pendant cinq ans.

La pilule SNU doit être avalée… quoi qu’il en coûte.

Une hypothèse de travail qui révèle à quel point la pilule SNU doit être avalée… quoi qu’il en coûte. Contacté, le cabinet de la secrétaire d’État botte en touche, assurant que la généralisation doit encore être arbitrée par l’Élysée. Quoi qu’il en soit, la Journée défense et citoyenneté serait supprimée en son état actuel pour être incluse dans le SNU – or cette attestation est obligatoire pour passer le baccalauréat, le permis de conduire et pour entrer à l’université.

Pour ressouder la nation, rien n’est impossible. L’obligation coûte 2 milliards d’euros par an ? Ce n’est pas un problème. Même si les enseignants se plaignent de conditions de travail toujours plus dégradées. Le rapport d’information des parlementaires sur le SNU pointe un défi logistique de taille, un prix exorbitant, et une « (très) faible acceptabilité » ? Circulez, il n’y a rien à voir.

À l’époque, déjà, une interlocutrice – Marie Mullet-Abrassart, l’ancienne présidente des Scouts et guides de France – dressait un résumé limpide : « Un service, quand il devient obligatoire, nest plus un service mais une corvée. » « Du reste, cest une grande partie de la société qui risque de sopposer à la réalisation dun tel service », conclut le document, qui travaillait sur un SNU obligatoire d’une durée d’un mois.

 On crée le cadre d’un outil terrifiant si le Rassemblement national arrive au pouvoir.

Depuis six ans, tous les acteurs qui prendraient en charge le SNU le disent : l’obligation ne passera pas. Encore en février, le Forum français pour la jeunesse, qui réunit une vingtaine d’associations, dénonçait « un détournement de l’engagement » au profit des fantasmes autoritaires d’Emmanuel Macron.

Une dérive qui inquiète les acteurs de l’éducation populaire. « On crée le cadre d’un outil terrifiant si le Rassemblement national arrive au pouvoir », dénonce l’un d’entre eux. À l’Assemblée comme à l’Élysée, tout est fait pour donner des gages à l’extrême droite. Quitte à faire sombrer la démocratie.

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Parti pris et Société

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