Esat : les travailleur·ses handicapé·es exploité·es

Lili Guigueno, militante antivalidiste, attire l’attention sur la situation des personnes handicapé·es exploité·es en établissements et services d’aide par le travail (Esat).

Lili Guigueno  • 10 mai 2023
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Esat : les travailleur·ses handicapé·es exploité·es
© Jakob Pabis / Unsplash.

Dans un contexte où les droits sociaux sont systématiquement attaqués pour mieux créer les conditions du plein-emploi répressif, la lutte contre la réforme des retraites a été l’occasion d’attirer l’attention sur les travailleurs et travailleuses handicapé·es exploité·es en établissements et services d’aide par le travail (Esat), hors du droit du travail. Une carte blanche de Lili Guigueno, militante antivalidiste.


Alors qu’iels sont privé·es du droit de grève, de se syndiquer, privé·es du droit à l’assurance-chômage et du salaire minimum, les travailleurs et travailleuses handicapé·es exploité·es en Esat restent, aujourd’hui encore, une sous-catégorie méprisée de la classe laborieuse et des luttes sociales. La lutte contre la réforme des retraites n’a pas dérogé à cette règle.

À peine abordés, la maladie et le handicap sont utilisés à des fins rhétoriques pour défendre un âge de départ à la retraite « en bonne santé » mais ne sont jamais pris en considération pour défendre les intérêts des travailleurs et travailleuses handicapé·es, encore moins quand il s’agit des intérêts de celles et ceux exploité·es en Esat.

L’absence de considération portée par les forces de gauche aux conditions d’exploitation et de ségrégation sociale en Esat est un parfait exemple de la lâcheté politique à laquelle nous sommes confronté·es. À ce sujet, les forces de gauche sont traversées par les mêmes jugements de valeur imposés par les cadres sociaux capitalistes qu’elles prétendent pourtant combattre. Dès l’instant qu’il s’agit des travailleurs et travailleuses handicapé·es, tout jugement critique semble aboli.

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Les éléments de langage et les catégories de pensée diffusés par la droite libérale sur le travail, qui ne reconnaît dignité et légitimité sociale aux individus qu’au regard des critères capacitistes de productivité et de rentabilité de leur force de travail, sont ainsi récupérés, sans critique, pour légitimer, à gauche, le travail ségrégué en Esat et l’exploitation institutionnalisée des travailleurs et travailleuses handicapé·es.

Le fait que cette valeur soit déterminée en fonction d’une norme blanche valide n’est jamais questionné. Suspendre ainsi, à gauche, toute critique du travail ségrégué en Esat revient à s’inscrire docilement dans le discours dominant sur la « nécessaire » réinsertion par le travail des « minorités inadaptées », pour qui le travail ne ressortirait plus à l’aliénation capitaliste, comme pour l’homme blanc valide, mais serait considéré comme un instrument de « normalisation sociale » et d’« intégration », comme du soin, comme le seul moyen pour nous, psychiatrisé·es et handicapé·es, de nous socialiser.

Les Esat sont et ont toujours été des structures d’asservissement par le travail et de contrôle social.

Les Esat sont et ont toujours été des structures d’asservissement par le travail et de contrôle social qui n’ont rencontré autant d’intérêt que parce qu’ils sont l’expression réalisée du souhait capitaliste absolu : l’absence de droit du travail.

Si leur existence avait été justement considérée comme une menace par les forces de gauche qui continuent de souscrire pleinement à ce modèle discriminatoire, celles-ci ne s’étonneraient pas devant des propositions comme celle du RSA conditionné à une obligation d’activité, qui s’inscrivent dans la droite ligne du schéma directeur dessiné par les Esat, où, pour garantir des conditions d’exploitation favorables, un contrat de « séjour » s’est substitué à un contrat de travail régulier et aux droits qui lui sont attachés.

Les forces de gauche semblent ainsi découvrir une stratégie libérale pourtant éculée : renverser le droit à la solidarité avec le devoir de s’en rendre légitime, appuyé sur un discours culpabilisant visant à rendre responsables les groupes minorisés de leur exclusion. L’idée de fond de cette stratégie éprouvée en Esat étant qu’en subventionnant le travail, sous couvert d’« insertion », de « socialisation » et d’« accompagnement social », l’État fait en retour l’économie des coûts indirects du chômage et des prestations sociales.

L’abolition des Esat ne relève pourtant pas d’un débat sur lequel il faudrait encore statuer. Cela fait de nombreuses années maintenant que le droit international a tranché net la question et que ces structures, jugées contraires aux droits humains, sont condamnées et vouées à être éliminées. Aucun statut pseudo-intermédiaire, aucun traitement différencié discriminatoire, aucune ségrégation sociale ne saurait être justifiée comme acceptable ou préférable parce que les travailleurs et travailleuses concerné·es sont handicapé·es.

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