Gaza : tortueuse et cynique stratégie américaine

La politique américaine à Gaza oscille entre faiblesse et incohérence. Cette danse de Saint-Guy diplomatique est criminelle alors qu’y meurent deux cents personnes par jour aujourd’hui.

Denis Sieffert  • 6 mars 2024
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Gaza : tortueuse et cynique stratégie américaine
Des manifestants devant les portes de la Maison Blanche appellent à un cessez-le-feu à Gaza le 4 mars 2024, à Washington.
© Brendan SMIALOWSKI / AFP

Qui dirige la diplomatie états-unienne ? Le président Jo Biden et son secrétaire d’État Antony Blinken, ou Benyamin Netanyahou et les colons hallucinés qui lui dictent leur volonté ? La politique américaine à Gaza oscille entre faiblesse et incohérence. Côté incohérence, cette déclaration, bienvenue mais tardive, de la vice-présidente Kamala Harris en faveur d’un cessez-le-feu que son pays venait de rejeter dix jours auparavant en usant de son droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. Plus absurde encore, ces largages, à l’efficacité douteuse, de produits alimentaires quand il serait si simple de laisser entrer les centaines de camions bloqués à la frontière égyptienne.

Il suffirait aux États-Unis d’annoncer la suspension immédiate de l’aide économique et militaire pour faire plier Israël.

Entre les bombes que l’oncle Sam fournit en grande quantité à Israël et les sacs de farine, le ciel de Gaza est parfois américain. Cette danse de Saint-Guy diplomatique est criminelle, alors que meurent deux cents personnes par jour aujourd’hui à Gaza. Et davantage encore quand l’armée israélienne fait un carton sur ces malheureux qui tentent de s’approvisionner aux abords d’un camion, comme ce fut le cas le 28 février, dans le nord du territoire.

Tout a été dit sur Israël, sur la fascisation de son gouvernement, le racisme ambiant d’une population rendue aveugle par une propagande à son comble depuis l’attaque du Hamas, le 7 octobre. Malgré quelques milliers de manifestants qui sauvent l’honneur, on n’attend plus guère de sursaut de conscience de ce côté-là. La raison peut-elle venir de l’extérieur ? Il est bien tard, hélas, alors que la famine tue par centaines des enfants qui ne sont pas victimes d’épidémies, mais de la volonté de personnages auxquels nos dirigeants déroulent le tapis rouge. Chacun sait qu’il suffirait aux États-Unis d’annoncer la suspension immédiate de l’aide économique et militaire, soit quelque 3,8 milliards de dollars par an, pour faire plier Israël et envoyer un message d’espoir au reste du monde.

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Il faut se contenter pour l’instant de l’appel au cessez-le-feu de Kamala Harris, alors qu’au Caire les négociations n’en finissent pas. On voudrait croire que les dirigeants états-uniens sont soudain pris de compassion pour les enfants de Gaza, mais il est plus probable que ce tournant, à peine esquissé, résulte plutôt de la menace que le soutien inconditionnel à Israël fait peser sur Joe Biden en vue de la présidentielle de novembre. Les électeurs noirs et arabes et de nombreux jeunes des campus risquent de lui faire défaut dans quelques swing states, ces États indécis où l’élection se joue.

Mais Kamala Harris ne fait pas que demander un cessez-le-feu et la libération des otages, elle reçoit à la Maison Blanche le grand rival de Netanyahou, Benny Gantz. Et c’est ici que l’on aperçoit la cohérence de la stratégie américaine. Gantz est l’homme que les Américains verraient bien succéder à l’actuel Premier ministre. Plus souple et moins extrémiste, il pourrait être le partenaire de Washington pour un plan dont on connaît les grandes lignes.

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Un plan qui s’appuierait sur l’Arabie saoudite, laquelle exigerait – en échange d’une normalisation de ses relations avec Israël – une solution politique pérenne au conflit israélo-palestinien. Les stratèges de la Maison Blanche comptent sans doute sur une rapide amnésie collective, et sur la peur qu’inspire Donald Trump, pour reconquérir un électorat en perdition. Ils pensent pouvoir sortir à temps leur plan de paix « saoudien », lequel est la réplique du projet que George Bush et Ariel Sharon avaient balayé d’un revers de main en 2002.

On sait l’État hébreu expert dans l’art de pourrir d’interminables ‘processus de paix’.

Pour convaincre Israël, il faudrait donc laisser s’accomplir le massacre de toute une population. C’est cher payé pour une promesse qui risque d’être, pour les Palestiniens, une nouvelle arnaque. Car il n’y a pas de raison que les dirigeants états-uniens soient plus fermes à l’égard d’Israël demain, quand il faudra décoloniser la Cisjordanie et Jérusalem-Est occupés par sept cent mille colons. Et on sait l’État hébreu expert dans l’art de pourrir d’interminables « processus de paix ». Sans même parler d’un retour possible de Donald Trump à la Maison Blanche, qui serait plus sûrement synonyme d’annexion de la Cisjordanie que d’État palestinien. Quel que soit le prolongement de l’actuelle tragédie, un plan de paix incertain ou une tentative de liquidation du conflit, il sera toujours temps ensuite de s’indigner des nouvelles violences qui ne manqueront pas de surgir.

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