Mobilisation dans le 93 : quatre professeurs convoqués pour une vidéo sur TikTok
Alors que le corps enseignant et les élèves réclament un plan d’urgence pour l’éducation en Seine Saint-Denis, des professeurs sont convoqués par leur direction pour leur apparition dans un petit film dénonçant leurs conditions de travail.
« Je suis une élève à Blaise Cendrars dans le 93, évidemment que l’ascenseur ne marche plus depuis un an. » Sur le réseau Tiktok, cette vidéo, réalisée début mars par des élèves et des professeurs du lycée Blaise Cendrars de Sevran, cartonne : plus de 2,5 millions de vues et plusieurs articles dans la presse. « La vidéo est à l’initiative des élèves et l’écho qu’elle a reçu nous a énormément surpris », raconte Romain, professeur dans le lycée.
Dans celle-ci, ils y dénoncent leurs conditions d’étude, entre vétusté du bâti et non-remplacement des enseignants. L’insalubrité des établissements, une problématique qui touche tout le département, comme le montre la carte interactive réalisée par Politis ci-dsessous.
Cette vidéo, dans un contexte de forte mobilisation depuis plusieurs semaines du corps enseignant en Seine-Saint-Denis, est vite devenue virale. Ceux-ci demandent, en effet, un plan d’urgence de 358 millions d’euros pour l’éducation dans leur département, avec, notamment, la création de 5 000 postes d’enseignants supplémentaires, de plus de mille postes pour la vie scolaire et 2 200 postes d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH).
Une initiative qui n’a pas plu à leur hiérarchie. Dans un communiqué publié le 13 mars, le personnel éducatif du lycée Blaise Cendrars révèle que quatre enseignants apparaissant dans la vidéo sont convoqués, ce vendredi, par leur direction en présence d’une personne du rectorat.
« La seule raison possible à l’origine de cette convocation, sans objet donc, ne peut qu’être l’apparition de nos quatre collègues dans une vidéo TikTok imaginée et créée par nos élèves », écrivent-ils. « Hier [mercredi N.D.L.R.] matin, les quatre enseignants qui apparaissent dans la vidéo ont reçu une convocation sans motif. Donc c’est certain que c’est pour cela », assure Romain.
Tentative d’intimidation
Contacté par Politis, le rectorat confirme la convocation de ces quatre enseignants. « La direction de l’établissement a bien convoqué des enseignants. Cette convocation s’inscrit dans un cadre réglementaire », écrit l’académie de Créteil qui assure qu’« aucune procédure disciplinaire n’est engagée à cette heure ».
Interrogée sur le motif de cette convocation, l’académie ne répond pas, assurant seulement – et de manière énigmatique – qu’« il n’est pas question ici d’exercice du droit syndical, et encore moins d’une volonté d’y porter atteinte ». Elle ne dément pas non plus le fait que la vidéo TikTok soit à l’origine de cette convocation. La direction du lycée, elle, n’a pas souhaité répondre à nos questions, nous renvoyant vers le rectorat.
Ça fait 11 ans que je suis dans le lycée, je n’avais jamais vu une convocation sans motif.
Dans ce contexte de forte mobilisation, cette convocation apparaît, pour plusieurs enseignants, comme une tentative d’intimidation. « Cette convocation n’est absolument pas fondée. Nos collègues n’ont fait qu’énoncer des faits indéniables et qui concernent l’ensemble de la communauté éducative », écrivent les personnels du lycée de Sevran qui demandent que ces convocations soient tout simplement annulées.
« Ça fait 11 ans que je suis dans le lycée, je n’avais jamais vu une convocation sans motif dans le bureau de la cheffe. C’est clairement une technique d’intimidation », poursuit le professeur de Blaise Cendrars. Émilie Benoit, enseignante et syndicaliste à SUD Éducation 93, évoque la possible tenue d’un rassemblement en soutien, si ces convocations sont maintenues. Plusieurs enseignants d’établissements voisins ont déjà assuré qu’ils seraient présents demain matin devant le lycée de Sevran.
Une mobilisation nationale le 19 mars
« Le mouvement dans lequel a émergé cette vidéo est un mouvement motivé par le désir profond d’améliorer les conditions d’études de nos élèves qui sont la raison d’être de notre métier. Nous déplorons que l’expression d’une détresse quant aux besoins spécifiques de notre département et de nos élèves ne reçoive qu’une réponse répressive. Ces méthodes génèrent en nous un sentiment d’incompréhension, d’injustice et d’abandon », concluent les personnels éducatifs du lycée.
Des cas de répressions comme à Blaise Cendrars commencent à émerger.
É. Benoit
Une forme de mépris également décrit par Émilie Benoit qui, avec le reste de l’intersyndicale, a été reçue au rectorat ce mercredi. « La rectrice n’a rien proposé, voire elle niait les problèmes que l’on soulève. C’était extrêmement décevant, voire méprisant pour la mobilisation. »
Selon nos informations, l’intersyndicale sera reçue au ministère de l’Éducation nationale ce vendredi, à 14 heures. Les enseignants espèrent une toute autre réponse. « On veut 358 millions d’euros, pas des miettes ! », s’exclame la syndicaliste qui conclut : « Des cas de répressions comme à Blaise Cendrars commencent à émerger. Nous, on est de plus en plus énervés par l’absence de réponses apportées. La mobilisation se durcit, des deux côtés. » En ligne de mire, une grande journée de mobilisation dans la fonction publique, ce mardi 19 mars, qui pourrait devenir le réceptacle de cette colère accumulée dans le département.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don