Choisir « la victime la plus victime déjà »

Luc Ferry suppute que les professeurs d’arabe risquent fort d’être des « islamistes ».

Sébastien Fontenelle  • 19 septembre 2018 abonné·es
Choisir « la victime la plus victime déjà »
© photo : JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

A****près avoir déjà confectionné en 2016 un très discutable (1) mais très médiatisé (2) rapport sur « l’islam », l’Institut Montaigne, think tank thatchérien, vient d’en publier un nouveau, consacré cette fois à « la fabrique de l’islamisme », qui n’est pas moins problématique, et dont l’auteur – le « consultant » Hakim El Karoui – préconise notamment, pour lutter donc contre le « fondamentalisme » musulman, de renforcer, à la fin d’éviter que les mahométan·e·s n’envoient leurs enfants suivre les cours dispensés par les écoles coraniques et les mosquées (3), l’enseignement de la langue arabe à l’école – où son apprentissage est déjà proposé, au même titre, exactement, que celui de l’allemand, de l’anglais, du chinois, de l’espagnol, de l’italien, du portugais et du russe.

Immédiatement, Luc Ferry, qui fut naguère ministre de l’Éducation nationale (et qui s’est depuis reconverti, non sans succès, dans l’animation de croisières thématiques), s’est mis à crier, à l’antenne d’une radio privée où l’on semble priser le pointu de ses vues : « Est-ce qu’il s’agit de lutter contre l’islamisme ou de le faire entrer dans l’Éducation nationale ? Il y a très peu de contrôle sur le recrutement. Qui va enseigner ? Est-ce que ce sera une islamisation de l’Éducation nationale ? Est-ce que c’est une bonne idée pour lutter contre l’islamisation de la France ? Je ne sais pas… »

Luc Ferry, pour autant qu’on le sache, n’a – évidemment – jamais demandé, au prétexte qu’il pourrait s’agir de fanatiques, plus de « contrôle sur le recrutement » des enseignant·e·s qui dispensent des cours d’allemand, d’anglais, de chinois, d’espagnol, d’italien, de portugais ou de russe. Mais, lorsqu’il est question de l’arabe, son premier élan, irrépressible, est donc de supputer que les professeur·e·s chargé·e·s de l’enseigner risquent fort d’être (des musulman·e·s et) des « islamistes ».

Et, quant à moi, je me suis bien gardé de porter le moindre jugement sur ce que pourrait éventuellement révéler cette impulsion – de toute façon, j’avais pas le temps, j’étais occupé à relire le livre (4) où Albert Memmi écrivait, en 1968 : « Pour être grand, il suffit en somme au raciste de grimper sur les épaules d’un autre. […] Il choisit la victime […] la plus victime déjà ; c’est encore le plus commode dans cette démarche si commode. Le raciste va d’instinct à l’Opprimé : il est plus facile d’ajouter au malheur d’un malheureux. »

(1) Selon la militante féministe et antiraciste Mélusine, par exemple, ce document multipliait « les faiblesses méthodologiques comme les biais idéologiques » (blogs.mediapart.fr/melusine-2, « Les Musulmans imaginaires de l’Institut Montaigne »).

(2) Comme il est de règle, depuis vingt ans, à chaque fois – et c’est souvent – que paraît un nouvel avertissement aux musulman·e·s.

(3) Cette insinuation, un rien émétique, selon laquelle lesdites écoles coraniques et mosquées compteraient donc – c’est induit – au nombre des ateliers où se « fabrique l’islamisme » figurait déjà dans le rapport publié en 2016.

(4) L’Homme dominé, Gallimard.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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