Mémoires vives

Un siècle dans leur tête. Un documentaire magnifique de Jean-Michel Djian, filmant une poignée de centenaires racontant les fils d’une histoire personnelle et commune.

Jean-Claude Renard  • 4 juin 2019 abonné·es
Mémoires vives
© crédit photo : Groupe France Télévisions France 3

Deux institutrices, Antoinette et Josée, un prêtre, le père Bourgeois, Jean, coiffeur, Yvonne, pharmacienne, Renée, commerçante, Serge, employé SNCF, et Pierre, chef d’entreprise. Un point commun : ils sont tous centenaires. Et fringants. Avec en mémoire un siècle d’histoire, de menues anecdotes qu’ils racontent, sobrement face caméra. On évoque la règle de trois, les projections d’un cinéma muet accompagné d’un pianiste, le bruit du vent dans les champs, la messe et le bouillon lardé du dimanche. « On a tous l’impression que c’était mieux avant », sourit Antoinette. T’inquiète. C’est juste une impression.

En ville, on choisit son camp dans les années 1930. À la campagne, on connaît à peine le Front populaire. Certains envisagent plutôt Hitler que Blum ; on choisit Pétain ou pas, on se rappelle des restrictions ; on justifie ses choix de collaborer ou d’entrer dans le maquis ; on n’oublie pas la barbarie à Oradour-sur-Glane, même si l’on ne sait pas grand-chose des camps d’extermination. Après guerre, il faudra tourner la page, participer à une France qui se reconstruit. Avec une autre plaie : la guerre d’Algérie. Avant encore de vivre l’avènement de la modernité et le toutim de l’électroménager. Le premier pas sur la Lune succède à Mai 68, la télé entre dans les foyers et une succession d’images médiatiques s’inscrit dans les mémoires, de Giscard d’Estaing graillant chez le peuple à Mitterrand, quand l’histoire commence à s’arrêter pour ces témoins. Après quoi, elle commence à bégayer peut-être.

Pour ce documentaire, Un siècle dans leur tête, Jean-Michel Djian aurait pu choisir des personnalités centenaires, ou quasi, connues et reconnues. Eh bien non. Ils sont là, avec leur profil différent. « Ils ne sont pas totalement représentatifs des Français, mais presque, relève le réalisateur. Prendre des figures connues aurait probablement dénaturé la portée du projet. Il fallait “entendre” cette France qui justement ne se raconte jamais. »

Ce qui est extraordinaire ici, c’est le dynamisme que donne au film Jean-Michel Djian entre passé et présent. Un dynamisme qui tient au montage, entre les témoignages et les images d’archives, liés par le récit, en voix off, de Jean-Pierre Darroussin. Parmi les archives, inopinément, tombe ce slogan vichyste : « La France en marche ». « C’est involontaire, explique Jean-Michel Djian, mais la période que nous traversons aujourd’hui peut s’apparenter aux années 1930. Comme si ces huit centenaires étaient, en creux, en train de nous dire que l’histoire peut se répéter. C’est en cela une vraie leçon pour ceux qui ne se retrouvent plus dans l’immédiateté, le déni, les mensonges politiques. » Sans fard et sans esbroufe, procédant en touches impressionnistes, en près de soixante minutes, pour un film qui en aurait mérité trente de plus (on imagine les heures de rushes), où toute une génération se raconte, Jean-Michel Djian, parce qu’il ne force jamais le trait, ni une larme, culbute ainsi les petites histoires avec la grande. Dans la féerie des délicatesses.

Un siècle dans leur tête, Jean-Michel Djian, mercredi 12 juin, à 23 h 25, sur France 3 (57’). En replay sur le site de France Télévisions jusqu’au 19 juin.

Culture
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