Courrier des lecteurs Politis 990

Politis  • 21 février 2008 abonné·es

Mai 68, ce n’est toujours qu’un début…

Un appel international

Un spectre hante les tenants de l’ordre établi: le spectre de Mai~68. Toutes les puissances du vieux monde se sont unies en une sainte-alliance pour traquer ce spectre~: Nicolas Sarkozy, Luc Ferry, Claude Allègre et consorts… Ne manque à l’appel aucun-e de celles et ceux qui n’ont comme seul horizon indépassable que le monde tel qu’il est, voire la fin de l’histoire.

Pour la France bien-pensante, Mai~68 est responsable de tout. Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à la faire frémir en agitant à nouveau le spectre. Il s’agit, selon lui, «~de savoir si l’héritage de Mai~68 doit être perpétué ou s’il doit être liquidé une bonne fois pour toutes~» . Dans cette liquidation seraient visés non seulement les droits syndicaux, le Smic et le salaire socialisé, mais aussi les avancées obtenues, entre autres par les luttes féministes.

Tel un ludion, le spectre de Mai~68 sort du placard tous les dix ans. C’est l’occasion des exorcismes et des oraisons funèbres, des enterrements de première classe et des cérémonies d’adieu, des célébrations compassées, des imprécations et des repentances de tous les ralliés.

Il est grand temps de se réapproprier Mai~68, les réalités derrière les mythes, le Mai des prolétaires (de la grève générale et des occupations), le Mai de la Commune étudiante, le Mai des murs qui prennent la parole, le Mai des barricades qui ferment la rue et ouvrent la voie, le Mai qui a pavé le chemin des libérations et des transformations sociales et sociétales arrachées au cours de la décennie suivante, le Mai qui a soufflé sur Berlin, Prague, Mexico ou Turin, soulevant l’espoir tout autant que la critique du monde réellement existant, des normes et des évidences.

Ce qui est advenu n’était pas le seul possible. Des retours critiques collectifs et discordants permettront de retrouver le sable chaud sous les grèves et les espérances, à la lumière d’une formidable expérience dont les traces marquent encore notre temps.

Des éditeurs, des revues, des journaux, des sites Internet, des librairies, des instituts, des fondations, des lieux et des espaces culturels tentent d’interpréter le monde pour transformer l’ordre des choses. Ils se sont réunis et proposent d’organiser ensemble, au printemps prochain, un «~Mai~68, ce n’est pas qu’un début, c’est une actualité urgente~». C’est à cette fin qu’ils lancent cet appel, ici et au-delà des frontières.

Pour signer l’appel~: contact@mai-68.org

Signatures collectives

À Babord (revue, Montréal), Actuel Marx (revue, Paris), Alternative libertaire (journal), Alternatives Sud (revue, Louvain-la Neuve), Amis de Tribune socialiste, Éditions Amsterdam (éditeur, Paris), Association pour la coopération des radios libres (Corali), Autres Voix de la planète (revue, Bruxelles), Bez Dogmatu (revue, Varsovie), Brumes et Blondes (revue, Alkmaar), Réseau féministe «~Ruptures~», Cadac, CeDInCI (Centro de Documentación de las Izquierdas, Buenos Aires), Colères du présent (Arras), Collectif national pour les droits des femmes, Collectif de pratiques et de réflexions féministes « Ruptures~», ContreTemps (revue, Paris), Critique (revue, Grande-Bretagne), Critique communiste (revue, Montreuil), Dissidences (revue), École émancipée (revue, Paris), Écologie & Politique (revue, Paris), Éditions Aden (Bruxelles), Éditions Après la Lune, Éditions du Monde libertaire, Espaces Marx (Paris), Les Empêcheurs de penser en rond (éditeur, Paris), Europe solidaire sans frontières, Fondation Copernic (Paris), Les Hasards subjectifs (éditeur), Infosurr (revue), Inprecor (revue, Paris), Institut d’histoire sociale de la CGT (Montreuil), Institut de recherche de la FSU (Paris), Jour Fixe Initiative (Berlin), Les Mondes du travail (revue, Amiens), librairie La Brèche, Librairie du Monde libertaire, Lux Editeur (Montréal), Le Monde libertaire (journal), Mouvements (revue, Paris), Observatoire des mouvements de la société (Paris), Page Deux (éditeur, Lausanne), Politis (journal, Paris), Punctum (éditeur, Paris), Quaderni Pietro Tresso (Florence), Raisons d’agir (Poitiers), Regards, Revue internationale des livres et des idées (revue, Paris), Rewolucja (revue, Varsovie), Rouge (journal, Montreuil), Rouge et Vert (journal, Paris), Sarkophage (journal), SolidaritéS (journal, Suisse), La Somme et le reste (revue, Paris), SOS Sexisme, Support Transgenre (Strasbourg), Syllepse (éditeur, Paris), TaPaGes (Strasbourg), Théâtre des Rues (compagnie de théâtre-action), Union syndicale Solidaires, Vacarme (revue, Paris), La Vache bleue (compagnie de théâtre, Lille), Variations (revue, Paris), Viento Sur (revue, Madrid)

Site: <www.mai-68.org>

Cali, engagé ?

À la suite à l’article, j’ai écouté le disque. De l’engagement qui n’engage pas à grand-chose… Me semble plus marcher sur les pas de Bono que de Lluis Llach… Mais bon, ce n’est pas désagréable non plus. De la à parler de chanson engagée…

à part ça, merci à Politis pour mon petit bol d’air du jeudi! Si le facteur pouvait me le donner dans une enveloppe kraft plutôt que sous plastique, ce n’en serait que plus agréable.

La bise et tenez bon

Pierre Jouishomme

Et les femmes~?

Je vous lis avec plaisir tous les jeudis depuis plusieurs années. Je ne m’abonne pas parce que j’aime aller acheter mon journal et je soutiens mon marchand de journaux, fort sympathique.

Je suis surprise par le reportage, dans le n°~988 de Politis , sur la colère et la grève des employés des grandes surfaces, le 1erfévrier.

Je suis surprise par la forme, non par le fond, que je trouve incontestable. Le parti pris d’interroger sept hommes sur neuf salariés, tous à plein temps, fait peu de cas de la réalité. Il me semble que les femmes sont majoritaires dans ce secteur, les postes à temps partiel sont occupés par elles à 80~%. J’ai travaillé pendant quinze ans dans le secteur de l’insertion professionnelle des femmes dites isolées chefs de famille.

Elles sont embauchées dans la grande distribution relativement facilement et subissent une incroyable pression les obligeant à accepter toutes les contraintes qu’on leur impose, à commencer par le chantage aux horaires. Leur situation personnelle leur rend encore plus difficile la défense de leurs droits.

Alors, dans cette lutte indispensable et courageuse de la grande distribution, je pense qu’elles n’ont pas été moins présentes que les hommes, et je trouve dommage qu’elles soient encore une fois dans l’ombre des hommes.

Cela me rappelle la lutte des infirmières… représentées par un porte-parole du sexe fort~!

Le diable se niche, dit-on, dans les détails.Sans rancune, et à jeudi prochain.

C.Maupertuy, Meyssac (Corrèze)

«~Déçus du sarkozysme~»

Je n’en crois pas mes oreilles. Quoi~? Il y aurait des «~déçus du sarkozysme~»~? Comment cela serait-il possible, alors que c’est une définition de l’impossible~? Comment peut-on être déçu par l’apôtre du «~toujours plus~» qui «~fait ce qu’il dit et dit ce qu’il fait~»~? Vous voyez bien que ce n’est pas possible. Tenez, prenez le «~travailler plus pour gagner plus~», que le monde entier nous envie (c’est ce qui s’appelle une «~politique de civilisation~», ça passe à l’histoire au même titre que la fondation de Rome ou le code civil napoléonien). Eh bien, voyez Jérôme Kerviel, ce stakhanoviste du sarkozysme qui a poussé l’abnégation jusqu’à se priver de vacances (c’est donc un modèle de civisme pour des millions de travailleurs, hein) pour qu’il y ait des gens qui gagnentinfiniment plus ­~et pas lui-même, non, pas un centime d’enrichissement personnel~: d’autres personnes, des spéculateurs inconnus somnolant derrière leurs ordinateurs à l’autre bout de la planète. Qui pourrait être déçu d’une telle attitude, d’un sens du devoir digne du soldat de Marathon ? Ou prenez notre cher président lui-même~: qui peut nier qu’avec lui, c’est «~toujours plus~» (grand, fort, culotté, stupéfiant…) alors qu’il n’est entouré que d’imbéciles, c’est lui-même qui le dit (il y a plus d’un âne qui s’appelle Martin…on, n’est-ce pas~?). Il y a quelques jours, rappelez-vous, il n’a pas hésité à se sacrifier une nouvelle fois sur l’autel de la patrie et à se montrer au fenestron pour nous prouver qu’il était absolument nécessaire, pour rendre à la France sa place en Europe et défaire ce qu’un référendum avait fait, eh bien, de ne pas organiser un autre référendum~! Qui a jamais déployé une telle puissance de raisonnement~? Mao, à côte de lui, c’était du petit. Les Jésuites, enfoncés, ridiculisés. La logique, pulvérisée. La dialectique, réformée (il adore le mot réforme, alors il le porte au niveau maximum, celui du concept pur, de l’idée platonicienne, en réformant la pensée elle-même).

Qui pourrait être déçu d’un tel homme~? Moi, il ne m’a jamais déçu, je suis fier de le dire. Cela fait longtemps (depuis qu’il réfléchit en se rasant) que je sais qu’il ira sans cesse plus loin. Vous n’avez pas fini d’être «~déçus en bien~» (comme disent les Suisses, qui s’y connaissent), je vous garantis. Vous avez vu, le pouvoir d’achat, comme il s’est envolé (attention au sens dialectico-sarkozien du terme~!)~? Et même son seul et unique (mais très modeste) échec, je veux parler de la croissance, ce n’est pas de sa faute. Il nous avait bien dit qu’il irait les chercher «~avec les dents~», ces 3~% qu’il avait «~décrétés~». C’est vrai que 1,9~%, ça fait un peu pâlot. Mais quelle en est la cause~? Eh bien, c’est tout simplement parce qu’il n’a pas… les dents assez longues (dis tonton, pourquoi tu tousses~?). Alors je propose à son service marketing un beau slogan publicitaire (sur une musique de Carla Bruni)~: «~Offrez à Sarko un dentier, et c’est lacroissance retrouvée.~»

Philippe Bouquet, LeMans (Sarthe)

Selon que l’on est puissant…

Il m’est arrivé récemment, cherchant un bureau à la préfecture de Vaucluse, de demander mon chemin à un policier national qui se trouvait là, pistolet à la ceinture, matraque à portée de main, bien en évidence. Il m’a regardé de haut et renvoyé à l’accueil deux étages plus bas. Le bureau que je cherchais était derrière la porte à côté de lui, mais il n’était pas là pour renseigner. Il avait été dressé pour réprimer, pas plus. J’en ai encore froid dans le dos~! J’ai plus de 60~ans, suis bien habillé, l’air français de souche… Que ce serait-t-il passé si j’avais été jeune et bronzé~?

L’ami d’une de mes filles s’est fait arrêter la semaine dernière lors d’un contrôle routier, il était 22~h, il avait fumé un pétard à 17~h en sortant de son boulot. L’ami en question n’est pas trader, il est ouvrier en formation (eh oui~! il y en a encore). Résultat~: 24~heures de garde à vue, retrait immédiat du permis et mise en examen (il risque six mois de retrait, deux mois de prison ferme et une amende). Bien entendu, le stage de CAP qu’il faisait a sauté.

Je ne suis pas un abonné à la fumette, je sais pourtant, pour l’avoir expérimenté (mais dois-je le dire sans risquer d’être dénoncé ?), que cinq heures après un pétard, la lucidité n’est en rien altérée.

Alors quoi~? S’il avait été trader ou PDG d’une grande banque, s’il avait détourné ou perdu 5milliards d’euros, il n’aurait pas eu tous ces soucis. Il aurait même été adulé par les médias.

Après tout, on est dans une société libérale où l’on est libre de faire ce que l’on veut si on est riche. On en connaît, des haut placés, qui n’hésitent pas, pour rester sautillants, à prendre autre chose que de l’herbe.

J’ai lu dans la presse que Mai~68 était une révolte de la jeunesse (et surtout pas ouvrière) contre une société idéologiquement bloquée. C’est pas un peu ce que l’on a en ce moment~? Ça ne vous paraît pas un brin bloqué, en dehors des capitaux du commerce, bien sûr, et de ceux qui en profitent~? […]

Alain Chanu

Laïcité et politique de civilisation

Pour dénigrer sans risque un principe, une idée ou une opinion, il suffit d’en détourner le sens. C’est ainsi que, dans son discours d’investiture, notre Président précise sa définition de la laïcité~: ma laïcité, dit-il, n’est pas une laïcité de combat contre les religions, ce qui laisse entendre que, pour lui, la laïcité des autres est par essence anticléricale. C’est, on le voit bien, une falsification grossière de l’état de l’opinion puisque, depuis belle lurette, la religion dans notre pays vit sa vie dans l’indifférence qui accompagne une désaffection croissante du sentiment religieux. Mais c’est le moyen de faire croire que la religion est en péril, qu’il faut la protéger et la réhabiliter.

Cette réhabilitation commence par l’affirmation péremptoire de la supériorité du curé sur l’instituteur dans l’enseignement des valeurs, et de la distinction entre le bien et le mal. Elle se poursuit par la déclaration surprenante selon laquelle la morale laïque se pervertirait en fanatisme, alors que, justement, depuis des siècles, on n’a d’exemples de fanatisme que dans les débordements sanglants du prosélytisme religieux.

Ces contre-vérités ne sont pas innocentes. Ainsi, la supériorité alléguée du curé sur l’instituteur, personnage emblématique de la République, révèle la détermination réactionnaire d’un nostalgique de l’Ancien Régime. C’est donc bien la République qui est en péril.

Ainsi, encore, le projet affiché d’une « ~ politique de civilisation ~ » , dans l’accompagnement de laquelle le Président a besoin d’une invocation mystique, nous conduit tout droit vers la référence religieuse qui est le fondement métaphysique indépassable de la civilisation américaine, celle qui affiche sur des billets de banque sa profession de foi, celle qui voue Darwin aux gémonies et qui prête serment sur la Bible.

L’américanisation de notre société a déjà commencé par la destruction programmée de tous nos acquis sociaux et, comme jadis, nos gouvernants prétendent atténuer le malheur des hommes en appelant à la religion qui console de l’adversité d’ici-bas par la promesse d’un au-delà radieux. C’est le sens que Sarkozy donne à cette stratégie quand il dit que la religion est « ~ un atout ~ » du néolibéralisme.

L’idéologie communiste tourne le dos aux religions pour montrer aux hommes la voie de la transformation sociale. Parallèlement, une politique néolibérale a besoin d’une béquille religieuse pour tenir les peuples et les empêcher de penser, car l’intelligence s’épanouit aux lieux et aux époques où les croyances se flétrissent.

Sarkozy a toujours rêvé d’une Europe ultralibérale. La rupture avec la laïcité est l’une des conditions premières qu’impose l’avènement de ce nouvel ordre européen et mondial.

Georges Apap, Béziers (Hérault)

Courrier des lecteurs
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