Yémen : dans le collimateur

Appauvris par la crise économique et la guerre civile, des Yéménites se laissent séduire par Al-Qaida.

Léa Barbat  • 14 janvier 2010 abonné·es
Yémen : dans le collimateur

Dans l’Antiquité, ce petit pays était appelé « l’Arabie heureuse ». Aujourd’hui, le surnom semble presque ironique… Le Yémen, qui est aujourd’hui dans le collimateur des États-Unis, et qui fera l’objet d’une « conférence internationale », le 28 janvier à Londres, est un des pays les plus défavorisés de la planète. Plus de 45 % de ses habitants vivent sous le seuil de pauvreté, 34 % sont au chômage. Le PIB par habitant est de 1 000 dollars quand son voisin saoudien plafonne à 13 880. L’exploitation pétrolière, qui représente 70 % du revenu de l’État, est exsangue. Les cours sont en chute. En 2000, le Yémen produisait 500 000 barils par jour. L’an dernier, le chiffre ne dépassait pas les 300 000. L’or noir se fait donc rare, et ses réserves devraient s’épuiser d’ici à douze ans. Dernière bouffée d’oxygène d’une économie asphyxiée par la crise : le gaz naturel, dont les bénéfices sont estimés à environ 35 milliards de dollars sur vingt-cinq ans ; ce qui ne sera pas suffisant pour combler le gouffre économique laissé par les puits de pétrole asséchés.

Aux effets de la crise s’ajoutent les conséquences d’une forte démographie. Sur 24 millions d’habitants, la moitié a moins de 15 ans. C’est cette génération de futurs chômeurs, dont la majorité ne sont pas lettrés, qu’Al-Qaida tente de séduire à coups d’idéologie extrémiste, d’antiaméricanisme et de liasses de billets. Les aides financières, mêlées aux discours radicaux, donnent du crédit à l’organisation terroriste et fait du sol yéménite un terreau fertile à la culture de la haine. Le gouvernement, dépassé par les problèmes intérieurs qui rongent le pays, se tourne vers l’Occident, ne faisant que donner du grain à moudre au réseau islamiste.

« Al-Qaida comprend parfaitement que le gouvernement est trop débordé pour pouvoir sévir de manière efficace » , analyse Barah Mikaïl, spécialiste du Moyen-Orient et chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). En outre, le Yémen est en proie à une guerre civile depuis une dizaine d’années. Le Sud, annexé en 1990, milite pour son indépendance, quand le Nord fait face à un mouvement de rébellion qui s’étend jusqu’en Arabie Saoudite.

C’est là, au nord, que vivent les Zaydites, le mouvement rebelle chiite qui se bat pour obtenir son autonomie dans un Yémen majoritairement sunnite. Le 11 janvier, alors qu’ils tentaient de s’emparer de la vieille ville de Sanaa, 17 d’entre eux ont été abattus par l’armée, qui perdra, elle, 8 soldats. Le gouvernement soupçonne ces rebelles d’être épaulés par l’Iran, une obsession partagée par l’Arabie Saoudite, dont la raison officielle d’entrée dans le conflit est l’assassinat d’un de ses douaniers, tué par les rebelles le 3 novembre dernier. « Il n’existe pas de preuves d’une connexion politique et stratégique entre l’Iran et le mouvement zaydite », assure Barah Mikaïl.

Au pouvoir depuis trente et un ans, le président Ali Abdullah Saleh peine à contenir les deux fronts, et chaque bataille perdue au Nord devient une motivation supplémentaire pour le Sud.
Dimanche, le mouvement autonomiste sudiste a lancé une grève générale pour protester « contre la répression du pouvoir central et réclamer la libération des détenus » . Cette instabilité politique et sociale profite évidemment au réseau terroriste, quand le gouvernement se sert, lui, de la menace Al-Qaida pour faire venir les fonds occidentaux et notamment américains. « Cela fait une dizaine d’années que l’on sait que les terroristes ont investi la région. Ce n’est pas une nouveauté. Les États-Unis ont intérêt à sauver le gouvernement en place » , observe Barah Mikaïl, avant d’expliquer : « Faire de l’Afghanistan et du Pakistan un point focal de la lutte antiterroriste serait une erreur. Le Yémen est une zone stratégique, Barack Obama ne peut pas délaisser le golfe d’Aden. Son engagement au Yémen le rapproche de celui qu’il mène en Somalie. » La réputation sulfureuse du Yémen n’est pas sans conséquences sur le débat sécuritaire aux États-Unis. Ceux-ci refusent aujourd’hui de rapatrier dans leur pays les prisonniers yémenites de Guantanamo. Or, ceux-ci constituent la moitié de la population du centre de détention.

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