« Hiver nomade », de Manuel von Stürler : L’odyssée des grands espaces

Hiver nomade , de Manuel von Stürler, suit deux bergers et des moutons dans leur transhumance.

Christophe Kantcheff  • 7 février 2013 abonné·es

Tous les aventuriers n’inscrivent pas leur nom dans le livre des records. Ceux-là vivent pourtant à la dure et doivent tenir leurs troupes, qui comptent plusieurs centaines de têtes : les bergers. Ce sont huit cents moutons que, dans la Suisse romande, Carole et Pascal, avec l’appui de trois ânes et de quatre chiens, emmènent en transhumance. Hiver nomade, le premier film de Manuel von Stürler, raconte leur odyssée. À une jeune femme rencontrée en chemin et qui avoue ne pas connaître le sens du mot « transhumance » – une activité traditionnelle dont on pourrait croire à tort qu’elle a disparu –, Pascal répond : « C’est un déplacement d’un point à un autre, un voyage dans le but d’engraisser les moutons, qui sont ensuite destinés à la consommation. Ça dure quatre   mois, pendant la période où la végétation est en repos. On glane les résidus, ce qui n’a pas pu être récolté. » Le cinéaste profite de ce bref échange pour donner les informations factuelles, renseigner sur le cadre agricole dans lequel se déroule une transhumance. Il n’en dira pas plus. Hiver nomade n’aborde pas l’intérêt écologique ni qualitatif de cet élevage extensif, même si cette dimension se profile à l’arrière-plan.

Car la caméra reste au plus près de Carole, de Pascal et des animaux. Hiver nomade ressemble à un western à l’européenne, un film des grands espaces qui se déroule dans la neige (comme la Chevauchée des bannis, avec Robert Ryan), où les protagonistes dorment dehors, dans une tente installée en lisière d’un bois pour se protéger du vent glacial, et où le réconfort d’un feu en fin de journée est vécu comme un des plus grands bonheurs qui soient. Berger dans ces conditions, avec un troupeau de huit cents bêtes qu’il faut conduire sans dispersion, sans que les moutons s’égarent dans les champs et les dégradent, est un travail qui demande un grand savoir-faire. Même si le paysage est avant tout celui de la campagne – magnifique –, Carole et Pascal ont aussi à faire avec les transformations du territoire, obstruant le plus souvent les anciens chemins de transhumance. Notamment, ils doivent savoir manœuvrer entre les grands axes routiers, les nouveaux lotissements et les champs d’herbe de certains paysans qui leur en interdisent désormais l’accès. Les relations entre Carole et Pascal constituent évidemment l’un des aspects les plus intéressants d’ Hiver nomade. En l’occurrence, ils partagent tout, mais on ne sait pas au début quelle est la nature de leur lien. Carole, de plus de vingt ans la cadette de Pascal, a abandonné la routine pour la transhumance. Une (jeune) femme dans ce milieu, ce n’est pas banal. Elle est forcément de caractère. Mais, professionnellement, elle apparaît de fait comme la moins expérimentée. Elle doit bénéficier encore des conseils de son aîné, quand il ne s’agit pas d’admonestations pour ne pas avoir su, par exemple, tenir un chien qui détournait une partie du troupeau. Toutefois, cette relation de transmission ne résume pas ce qui existe entre eux deux, qui forment en réalité un couple peu conventionnel.

Il n’y a rien de métaphysique ou de mystique dans le regard du cinéaste sur ses personnages (humains ou bêtes). Mais Manuel von Stürler montre que ces quatre mois de nomadisme dépassent une simple occupation de travail. C’est une expérience de vie, qui déplace les rapports avec la nature et les animaux, avec l’autre, et engage même ce qui se joue entre soi et soi. La transhumance est un rite (qui a ses rendez-vous, avec l’éleveur qui vient prélever des moutons pour les vendre, avec des amis situés sur le parcours) et en même temps une voie de ressourcement intérieur. Quand approche la fin de la traversée, Pascal dit ne plus trouver le sommeil. Le retour proche à la vie normale est perturbant. Hiver nomade, ou le récit d’une aventure plus intense que la course du Vendée Globe.

Cinéma
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