La discorde des municipales

Les piques inhabituelles échangées entre Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon
aux Estivales ont mis au jour des divergences de méthode derrière l’unité de façade.

Michel Soudais  • 29 août 2013 abonné·es

Le Front de gauche n’a guère donné, ce week-end, l’image d’unité qui a fait une bonne part de son succès depuis sa création en 2009. Certes, les organisateurs avaient décidé, cette année, de consacrer quelques-uns des soixante ateliers programmés à des sujets controversés dans leurs rangs : la décroissance, l’islamophobie, la République ont ainsi fait l’objet de débats animés. Comme l’éventualité de tirer au sort les membres de la Constituante chargée de rédiger la Constitution de la VIe République. L’évolution de la gauche a également été très discutée, avec la question de savoir si le PS en fait toujours partie. Sur l’avenir de l’euro, le ton est fort monté entre les partisans d’en sortir et les tenants de la ligne officielle pour qui cela ne peut en aucun cas être un mot d’ordre. Pas de quoi plomber l’ambiance toutefois.

Car ces confrontations d’arguments divergents, bien naturelles dans une coalition qui rassemble neuf organisations, pas toutes homogènes, sont loin d’avoir eu le retentissement provoqué par l’entretien accordé par Pierre Laurent à Libération, le 22 août, jour où s’ouvrait sur le campus grenoblois de Saint-Martin-d’Hères le « Remue-méninges » du Parti de gauche (PG), suivi des « Estivales » du Front de gauche. Interrogé sur un propos de Jean-Luc Mélenchon, qui estimait que Manuel Valls était « contaminé » par Marine Le Pen, le numéro un communiste y reprochait à son allié de « confondre la colère et la radicalité nécessaire avec la provocation et l’invective ». À la plus grande satisfaction du PS, qui avait explicitement demandé aux communistes de se « dissocier  […] des outrances » de l’ancien candidat du Front de gauche à la présidentielle. Lequel a répliqué publiquement, vendredi, en meeting devant quelque deux mille personnes : « On ne gagne rien au rôle du tireur dans le dos. » Avant de rappeler au dirigeant communiste l’existence d’ « un devoir de respect mutuel et de solidarité car le Front de gauche et les gens qui le constituent ne supporteront pas une compétition d’ego ». Auparavant, lors d’une rencontre avec la presse locale, Jean-Luc Mélenchon avait confié avoir « mal vécu que Pierre Laurent réponde de manière quasi instantanée, dans un garde-à-vous si impeccable, aux injonctions d’Harlem Désir ». Des propos « inutilement blessants », a commenté le numéro un communiste à son arrivée samedi à Grenoble. Au cours de cette journée, les deux hommes se sont croisés une fois dans les couloirs sans se voir. Ils n’ont finalement échangé qu’une poignée de main fugace, dimanche, à l’issue d’un meeting final où Pierre Laurent a reconnu que l’engagement des communistes et le sien « depuis maintenant quatre ans pour permettre le développement du Front de gauche » ne se font pas sans « maladresses, parfois, personne n’est parfait ». « Le bal des ego ne m’intéresse pas, a-t-il assuré, et les communistes ne sont au garde-à-vous de personne. »

Si cette querelle inhabituelle a pris des proportions importantes, ce n’est pas uniquement en raison d’un effet de loupe des médias. Les dirigeants du Front de gauche s’étaient jusque-là gardés d’étaler en place publique leurs divergences. Cette première a agacé bien des responsables politiques, présents ou non à Grenoble [^2], inquiets de ses effets sur l’opinion et sur la mobilisation des militants à quelques jours de l’ouverture de « la bataille des retraites ». Elle révèle aussi un climat tendu à l’approche des municipales. Le Parti de gauche, comme la plupart des autres formations du Front de gauche, prône la constitution de listes autonomes au premier tour, par souci de « cohérence ». Le PCF, soucieux de préserver les 28 villes de plus de 30 000 habitants qu’il détient, est plus hésitant. Pour conserver les 8 000 élus municipaux, qui assurent l’essentiel de son rayonnement, tous les cas de figure sont envisagés – le choix revenant aux militants locaux –, y compris des associations avec le PS. « Il y a toujours eu différentes manières d’atteindre nos objectifs », a rappelé Pierre Laurent, dimanche.

Cette volonté de préserver la possibilité de stratégies locales différenciées impose de ne pas couper tous les ponts avec le PS. D’où une certaine retenue dans la dénonciation de la politique du gouvernement, qui ne goûte guère le « parler cru et dru » de Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier n’entend pas changer de discours. « Il faut faire de la politique sans tortiller », a-t-il lancé à la tribune, à côté d’un Pierre Laurent sur la réserve. Quand ce dernier n’oublie jamais de dénoncer les discours et projets de la droite, le coprésident du PG s’y refuse –  « Pour quoi dire ? » –, préférant concentrer ses attaques sur « François le Petit » et, plus violemment, Manuel Valls, en qui il décèle « la future pente » de l’évolution du PS, « parce que c’est lui l’homme fort du gouvernement ». Entre les deux, la divergence porte moins sur l’analyse de la situation politique que sur la méthode qui, dans cette situation, permettra de développer le Front de gauche.

[^2]: « Arrêtons d’alimenter les dépêches de petites phrases qui ne font que ranger le Front de gauche dans le traditionnel bal des universités d’été ou les faux pas prennent le dessus », a exhorté Marie-George Buffet, sur Facebook, samedi soir.

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