Qu’est-ce que le terrorisme ?

Le journaliste Nicolas Hénin convoque le droit et l’histoire pour cerner un concept souvent dévoyé.

Denis Sieffert  • 13 décembre 2017 abonné·es
Qu’est-ce que le terrorisme ?
© photo : Un jihadiste jugé à Berlin le 26 septembre 2017.Julian Stratenschulte/dpa/AFP

Lorsque le mot « terrorisme » sort de la bouche d’un dictateur ou du dirigeant d’une puissance coloniale, il sert surtout à stigmatiser des opposants. Poutine, Trump, Bachar Al-Assad, Netanyahou – pour ne citer qu’eux – en font un usage surabondant et évidemment tendancieux. Comprendre le terrorisme, de Nicolas Hénin, est donc un outil pédagogique précieux en ces temps de confusion et d’amalgame. L’auteur confronte toutes les définitions juridiques et sociologiques du concept pour en retenir l’essentiel : « L’usage de la violence par une entité non étatique, sur des cibles civiles, dans un but politique ». Ce qui revient à écarter, de façon discutable, la violence d’État, qui, dit-il, peut être « crime de guerre » sans être « terroriste ».

Le mérite de Nicolas Hénin est tout de même de montrer l’extrême plasticité du concept. Nelson Mandela n’était-il pas encore un « terroriste » pour les États-Unis alors qu’il était déjà prix Nobel de la paix ? Et quid des mouvements de résistance ? Où classer le Hamas palestinien ? Et le FLN algérien au temps de la guerre d’indépendance ? Et que dire des mouvements kurdes, « terroristes » quand ils revendiquent un État mais portés au pinacle quand ils luttent contre Daech ? L’affaire se complexifie encore lorsqu’il s’agit du jihadisme islamique.

L’ancien journaliste du Point et de Radio France sait de quoi il parle. Spécialiste du Moyen-Orient et du monde arabe, il fut lui-même otage d’un groupe jihadiste à Raqqa de juin 2013 à avril 2014. Il met un peu d’ordre dans un discours médiatique qui ne manque jamais de confondre les « islamistes », principalement les Frères musulmans, et les jihadistes issus d’une branche du salafisme. Les uns revendiquant un islam politique, les autres s’engageant dans le terrorisme. Il se penche sur le cas de l’Égyptien Sayyid Qutb, qui a rompu avec les Frères musulmans pour prôner l’action violente.

Hénin analyse et dissèque. Il réfute l’idée très répandue chez nous selon laquelle les dictatures arabes seraient un « moindre mal », alors qu’en réalité elles nourrissent le terrorisme, comme on a pu le voir en Syrie ou, vingt ans plus tôt, en Algérie.

Au passage, Hénin conteste que nous soyons « en guerre » et met en garde contre des mesures d’exception qui bradent les principes démocratiques. « Et si le terrorisme, finalement, était un mal qui se nourrit des remèdes qu’on administre pour le combattre ? », demande-t-il. Une « maladie auto-immune » ? Il dénonce les pièges de « la guerre mondiale contre le terrorisme ». Ce n’est pas parce que des mouvements se réclament de la même mouvance qu’ils ne sont qu’un même phénomène, au Yémen, au Levant, en Afghanistan ou au Sahel. Il faut donc surtout s’intéresser aux crises qui assurent le succès du recrutement des groupes jihadistes.

Comprendre le terrorisme, Fayard, 273 p., 18 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Quand la justice menace (vraiment) la démocratie
Idées 11 décembre 2025 abonné·es

Quand la justice menace (vraiment) la démocratie

De Marine Le Pen à Nicolas Sarkozy, plusieurs responsables politiques condamnés dénoncent une atteinte au libre choix du peuple. Un enfumage qui masque pourtant une menace juridique bien réelle : celle de l’arbitrage international, exercé au détriment des peuples.
Par François Rulier
Valérie Masson-Delmotte : « Les questions de climat et d’énergie sont les premiers marqueurs de la désinformation » 
Entretien 10 décembre 2025 abonné·es

Valérie Masson-Delmotte : « Les questions de climat et d’énergie sont les premiers marqueurs de la désinformation » 

Il y a dix ans, lors de la COP 21, 196 pays s’engageaient dans l’accord de Paris à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) pour contenir le réchauffement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Depuis, la climatologue ne ménage pas son temps pour faire de la vulgarisation scientifique et reste une vigie scrupuleuse sur la place des faits scientifiques.
Par Vanina Delmas
Désoccidentalisez… il en restera bien quelque chose !
Essais 5 décembre 2025 abonné·es

Désoccidentalisez… il en restera bien quelque chose !

À travers deux ouvrages distincts, parus avec trente ans d’écart, le politiste Thomas Brisson et l’intellectuel haïtien Rolph-Michel Trouillot interrogent l’hégémonie culturelle des savoirs occidentaux et leur ambivalence lorsqu’ils sont teintés de progressisme.
Par Olivier Doubre
Appel des intellectuels de 1995 : « Bourdieu a amendé notre texte, en lui donnant une grande notoriété »
Entretien 4 décembre 2025 abonné·es

Appel des intellectuels de 1995 : « Bourdieu a amendé notre texte, en lui donnant une grande notoriété »

L’historienne Michèle Riot-Sarcey a coécrit avec quatre autres chercheur·es la première version de l’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes, alors que le mouvement social de fin 1995 battait son plein. L’historienne revient sur la genèse de ce texte, qui marqua un tournant dans le mouvement social en cours.
Par Olivier Doubre