Un mot qui compte

Le drapeau tricolore et La Marseillaise ont été, depuis de très longues années, accaparés par l’extrême droite.

Sébastien Fontenelle  • 15 mai 2019 abonné·es
Un mot qui compte
© crédit photo : Laurent Ferriere / Hans Lucas / AFP

Jacques, dont la (très gentille) lettre a été publiée dans le courrier des lecteurs de l’avant-dernier numéro de Politis, « regrette », comme moi, « la place discutable qu’ont prise dans les meetings de LFI […] la mise en avant du drapeau tricolore et […] La Marseillaise ». Mais Jacques me trouve, par ailleurs, « d’une sacrée mauvaise foi » quand je « développe » une « diatribe (1) sur l’effacement du mot gauche dans le discours du camp mélenchoniste (pour ne pas le nommer !) ».

Nommons-le, Jacques. Nommons-le. Puisque, tout aussi bien, c’est en effet un député de ce « camp » qui a revendiqué cet « effacement », dans un tweet daté – ça ne s’invente pas – du 1er avril dernier, où il expliquait ne plus vouloir s’« enfermer dans le mot gauche », devenu selon lui un « repoussoir ».

Et toi aussi, Jacques – allez, on se tutoie –, tu estimes que « ce mot » fait « fonction de repoussoir […] depuis son accaparement, à visée hégémonique, par un archaïque PS qui l’a progressivement […] vidé de sa substance originelle ».

Et comme tu devines il me faudrait, pour te répondre un peu longuement (2), beaucoup plus d’espace que celui dont je dispose dans le périmètre lilliputien de ces deux minuscules feuillets (dont je quémande le doublement depuis le sacre de Charlemagne).

Mais voici tout de même un questionnement.

Le drapeau tricolore et La Marseillaise ont été, depuis de très longues années, accaparés par l’extrême droite – bien plus encore que l’appellation « gauche » ne l’a été par le « PS ».

Et pourtant, les mêmes, qui nous expliquent donc que nous devons absolument renoncer à un mot qui nous est (encore) cher parce que les « socialistes » l’ont trop galvaudé, non seulement ne prêchent nullement l’abandon de ces deux emblèmes, mais prétendent même se les réapproprier : c’est ce qui les a amené·e·s à se féliciter l’an dernier, par la voix d’un (autre) de leurs députés (3), de les avoir, dans leurs dernières campagnes, substitués aux « codes de la gauche radicale » pour mieux « rompre avec les fonds de scène rouges, avec cette imagerie (4) ».

Ce qui signifie (assez nettement) que ces gens sont prêts à s’investir (assez ardemment) dans la réappropriation des symboles – disons comme ça pour aller vite – dont ils estiment avoir été abusivement dépossédés.

Mais à quelles spéculations, exactement, renvoie le tri qu’ils font, dans ce qui doit ainsi être (ou ne pas être) récupéré – et qui les amène à ramasser des cocardes en même temps qu’ils répudient la gauche ?


(1) Carrément !

(2) Et te dire par exemple qu’il y a fort longtemps (je parle ici d’une époque où l’actuel chef du « camp mélenchoniste » campait encore rue de Solférino) que nous sommes un certain nombre à ne plus gober du tout la fable selon laquelle le « PS » serait de gauche – ou que ce parti a également galvaudé beaucoup d’autres mots, dont nul·le ne réclame pourtant l’« effacement ».

(3) Qui n’avait que peu goûté que l’on discute ici ce choix.

(4) Pour plus de précisions, lire ici.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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