« La Madrivore », de Roque Larraquy : Un sens de l’absurde à perdre la tête

Premier roman de l’Argentin Roque Larraquy, la Madrivore explore le cynisme scientifique.

Anaïs Heluin  • 30 avril 2015 abonné·es
« La Madrivore », de Roque Larraquy : Un sens de l’absurde à perdre la tête
© **La Madrivore** , de Roque Larraquy, traduit de l’espagnol (Argentine) par Mélanie Gros-Balthazard, Christophe Lucquin Éditeur, 240 p., 20 euros. Photo : Christophe Lucquin

De Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818) de Mary Shelley à l’Île du Docteur Moreau (1896) d’H. G. Wells en passant par l’Étrange Cas du Docteur Jekyll et de M. Hyde (1886) de Robert Louis Stevenson, l’expérience scientifique a engendré en littérature bien des monstres. Avec la Madrivore, l’Argentin Roque Larraquy se place dans cette filiation. L’ancrage historique de ce premier roman est à ce titre éloquent. En 1907, soit quelques décennies après la naissance des mythiques victimes d’un positivisme abusif, les médecins de l’obscure clinique Temperley, dans la province de Buenos Aires, entreprennent d’explorer ce qu’éprouve un homme durant les neuf secondes qui suivent sa décapitation.

Sous la direction du docteur Allomby, grossier personnage à la grammaire aussi approximative que ses raisonnements scientifiques, l’équipe médicale met au point un processus alambiqué. Sous prétexte de tester le nouveau «   sérum anti-cancéreux du professeur Beard, de l’université d’Edimbourg (Angleterre) », les praticiens réunissent des malades en phase terminale, qu’ils guillotinent selon une technique française. Avec des accents dystopiques, la Madrivore est une fantaisie grinçante sur les coulisses peu reluisantes du progrès. L’humour noir de Roque Larraquy fait penser à celui de Swift dans son Humble proposition  (1729). Comme le génocide de nourrissons chez l’auteur anglo-irlandais, l’exécution de cancéreux est, chez l’Argentin, l’occasion d’une critique sociale.

Narrateur de la première partie du roman, le docteur Quintana cristallise tout l’absurde qui traverse le roman. Une langue où rigueur et extravagance se côtoient avec bonheur et qui porte les contradictions de ce personnage sans qualités, devenu le principal acteur de la décapitation. Pour séduire une infirmière en chef plus insignifiante encore que lui, ce Quintana imagine un moyen de se débarrasser des cadavres qui s’entassent dans la clinique : il utilise la madrivore, plante dont la sève produit des larves capables d’absorber n’importe quel corps. Métaphore de la dévoration du passé à l’œuvre dans toute avant-garde, cette plante imaginaire symbolise aussi la circularité de l’histoire. On la retrouve en effet dans la courte seconde partie du roman, où elle sert à un artiste dans une performance. C’est là qu’apparaît le véritable monstre de la Madrivore, même si ses ancêtres de la clinique de Temperley n’avaient moralement rien à lui envier.

Littérature
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