Viols de guerre : parler pour celles qui ne le peuvent pas

Violée en 2005, Mildred Mapingure a été rejetée par son mari et ses parents. Livrée à elle-même, elle s’est battue pour elle et pour sa fille. Elle le fait aujourd’hui pour d’autres survivantes.

Viols de guerre : parler pour celles qui ne le peuvent pas
© crédit photo : Udo Lachnit/AFP

Depuis plus de vingt ans, le Zimbabwe est déchiré par une instabilité politique chronique. Chaque crise est marquée par des explosions de violence et des vagues de viols. Pour de nombreuses ONG, ces derniers, parfois commis par des hommes en uniforme, sont régulièrement instrumentalisés pour répandre la terreur dans la population.

En 2005, Mildred Mapingure avait un emploi à Harare, capitale du Zimbabwe, un mari, officier de police, et un jeune fils de 2 ans. Alors que la capitale est frappée d’une vague de violence autour de la contestation des élections parlementaires, des hommes s’introduisent chez elle et la violent. Quand elle tente de porter plainte pour avoir le droit à des examens médicaux et à une contraception d’urgence, la police l’éconduit. Quand, enfin, un officier accepte de prendre sa plainte, 72 heures sont passées, trop tard pour la pilule du lendemain.

Un mois plus tard, Mildred comprend qu’elle est enceinte. L’apprenant, son mari l’accuse d’avoir flirté avec ses agresseurs, contacte sa famille et réclame le remboursement de sa dot. Son père la renie, elle perd son travail, son mari la jette dehors et lui refuse le droit de voir son fils. « Si tu te débarrasses du bébé, peut-être tu pourras revenir. » Mais, au Zimbabwe, l’avortement n’est autorisé qu’en cas de mise en danger de la vie de la mère et toléré en cas de viol. À la police, on lui explique qu’elle ne pourra avorter qu’une fois qu’un magistrat pourra certifier que le viol a été commis. Mais les mois passent et la justice refuse toujours de lui délivrer ce certificat. Mildred dort chez des connaissances, puis se retrouve à la rue. « Je ne voulais pas du bébé : pour moi, il était à l’origine de tous mes problèmes. Et j’avais peur qu’il devienne comme son père », raconte-t-elle. Quand, enfin, elle obtient de haute lutte le document judiciaire certifiant son viol, elle est enceinte de sept mois et l’hôpital refuse d’interrompre sa grossesse.

Quand Mildred donne naissance à Vimbaï, elle n’envisage plus de se séparer de son enfant. « Je m’attendais à voir un monstre, j’ai vu ma fille. » Vimbaï a aujourd’hui 13 ans. Autant d’années pendant lesquelles sa mère s’est battue pour obtenir du gouvernement la reconnaissance de ce qu’elle avait subi. Avec l’aide de l’association Zimbabwe Women Lawyers et de la juriste française Céline Bardet, elle démontre que l’État est responsable de sa situation. La Cour suprême finit par lui donner raison et définit une indemnisation. La décision fait grand bruit. Mais à ce jour,Mildred n’a toujours pas touché un sou.

Soutenue financièrement et moralement par le programme Foster a Survivor de l’ONG WWoW (lire ici), Mildred ne baisse pas les bras. Elle reprend des études et s’emploie à monter un réseau national de survivantes, qui rassemble aujourd’hui 51 personnes. _« Je veux montrer aux autres qu’elles ne sont pas seules, déclare-t-elle. En Afrique, parler de viol est tabou. Nous avons besoin de soutien pour lutter contre le silence, pour que justice soit rendue et pour la reconnaissance de nos enfants. Vimbaï a droit à une vie normale. » La résistante rejoint également le réseau international Sema (lire ici) et trouve chez ses sœurs d’armes étrangères une vraie « famille ». _« Pendant combien de temps encore allons-nous regarder par-dessus nos épaules, craignant pour nos filles, nos mères et nos sœurs ? Je parle pour celles qui ne le peuvent pas. » Ses parents, qui ne lui avaient plus donné de nouvelles depuis des années, l’ont contactée pour lui dire de se taire. Mildred leur rétorque : « Je vis ma vie comme je l’entends. »

Monde
Publié dans le dossier
Viol de guerre : Le crime parfait
Temps de lecture : 3 minutes

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