« Jasmine », d’Alain Ughetto : Les sentiers de la mémoire

Dans Jasmine , Alain Ughetto ressuscite un amour sur fond de révolution en Iran.

Ingrid Merckx  • 31 octobre 2013 abonné·es

En animation, presque tout est possible, comme de faire survoler la carte d’un pays à un personnage en pâte à modeler : le personnage qui représente le réalisateur, Alain Ughetto, plane au-dessus de l’Iran, ce pays qu’il a découvert en suivant la femme dont il s’était épris, Jasmine. Ensemble, ils ont vécu la révolution à la fin des années 1970. Ils se sont perdus de vue. Un jour, il a retrouvé ses lettres et les personnages de pâte à modeler qu’il confectionnait alors pour des films d’animation. Il a relu les unes et remodelé les autres pour réchauffer sa mémoire, et le passé a refait surface : ses mots à elle et les événements dont ils ont été témoins. Il a tout assemblé : elle en pâte à modeler bleue, lui en jaune orangé, les enveloppes « avion » de leur correspondance transformée en tapis volant, Téhéran en polystyrène ocre, et « l’Histoire » à travers des extraits d’archives et des vidéos qu’il avait prises à l’époque. La bande, vieillie, se teinte parfois de taches des mêmes couleurs que les personnages. Tous écarquillent de grands yeux sans pupilles qui leur donnent des airs d’extraterrestres. Il n’y a pas de fiction, que des projections. Ce film, Jasmine, est une adresse à peine déguisée, un cadeau.

Les mains du réalisateur apparaissent souvent dans le cadre, dépliant, pétrissant, malaxant… Très présentes, elles bloquent parfois l’envol des personnages. Filmées en gros plan, elles peuvent rendre une sensualité bizarre. Mais elles sont importantes ces mains. Parce qu’Alain Ughetto est fils d’ouvriers pour qui l’art n’était pas un « vrai travail ». Et parce qu’il montre que l’animation qu’il pratique est d’abord un travail manuel. Son film se double des coulisses de la réalisation : chaque mouvement implique un remodelage et une nouvelle séance photo. Son cinéma, c’est 25 images par seconde, le film dure 1 h 10… Les tragiques redondent parfois, malgré la voix de Jean-Pierre Daroussin qui trouve le ton adéquat en jouant la partition d’Ughetto, de même que la comédienne iranienne en Jasmine, qui a souhaité garder l’anonymat. La dimension poétique est un peu trop soulignée par le volettement des personnages. Mais la leçon d’animation est magistrale et la séquence où les personnages s’enlacent sur une plage les montre libérés de toute construction, autonomes. C’est là qu’ils sont les plus beaux.

Cinéma
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