« Un agresseur ne sera jamais un bon collègue, ni un bon médecin »

Sonia Bisch revient sur son parcours personnel et sa lutte contre les violences obstétricales et gynécologiques.

• 21 mai 2024
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« Un agresseur ne sera jamais un bon collègue, ni un bon médecin »
© Guillaume Piron

Sonia Bisch revient sur son parcours personnel et sa lutte contre les violences obstétricales et gynécologiques (VOG), qui l’a menée à la fondation de l’association Stop VOG France. Le mercredi 29 mai à 18 heures, une mobilisation devant le ministère de la Santé est organisée afin d’obtenir « des mesures concrètes » contre les violences sexuelles et sexistes dans la santé.


En 2017, j’ai créé ce collectif à la suite des violences obstétricales que j’ai subies lors de mon premier accouchement. Jamais je n’aurais pu imaginer que certain·es professionnel·les de santé commettent des violences. Tant qu’on n’est pas directement concerné, cela semble impensable. Ces violences ont eu des répercussions dramatiques sur ma vie personnelle, professionnelle et familiale, sur mon couple et mon lien avec mon enfant. En sortant de la maternité, j’étais comme morte, sans que ça se voie. Malgré la gravité des faits et de mon état, personne n’entendait ma souffrance, ma parole était remise en cause. Au lieu d’être soutenue, j’étais poussée au silence, je dérangeais.

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Confrontée au tabou dans la société, au déni de mon entourage et des soignant·es, et à la difficulté de porter plainte contre un médecin, j’ai dû lutter pour ne pas sombrer, accompagnée par des professionnel·les du soin psychique et psychocorporel pour me réparer. En militant, j’ai refusé la fatalité et ces injustices dans le but d’épargner d’autres personnes. Pour briser le déni et agir concrètement, il fallait diffuser des témoignages auprès du grand public et du milieu médical : les VOG devaient devenir une cause féministe et une question de santé publique considérée par les politiques afin de préserver notre intégrité physique et psychique, afin de combattre les discriminations, de s’assurer du respect de la loi Kouchner (2002) sur le consentement libre et éclairé et du suivi des bonnes pratiques médicales.

Les violences doivent être nommées partout où elles sont commises pour briser le déni.

Le 8 mars 2022, un tournant s’est opéré quand le comité d’organisation de la manifestation féministe, que j’avais intégré pour Stop VOG, a demandé à l’unanimité qu’elle se termine devant l’hôpital Tenon afin de dénoncer le scandale de « l’affaire Daraï ». Ce gynécologue accusé de violences gynécologiques et de viols par trente-deux patientes, mis en examen, est pourtant toujours autorisé à exercer. Le mouvement féministe #NousToutes, qui milite contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), a aussi intégré dans ses revendications la lutte contre les VOG. Elles font partie des VSS car elles touchent à l’intimité et altèrent l’intégrité physique et psychique.

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Les violences doivent être nommées partout où elles sont commises pour briser le déni et ne pas faire croire qu’elles sont réservées à certains milieux. Chaque #MeToo a des spécificités, des témoignages qui diffèrent, mais qui se rejoignent sur la difficulté à prendre la parole et à se remettre des conséquences psychotraumatiques, ainsi que sur le caractère systémique des violences, l’inversion des responsabilités, le déni, le tabou, la perpétration d’une violence et l’impunité des agresseurs. Pourquoi n’entend-on pas la parole des patientes qui dénoncent des VOG ? C’est le sujet du livre collectif que j’ai codirigé.

L’esprit carabin, les fresques des salles de garde banalisent le sexisme. Enrichir la formation médicale en faisant participer les patient·es partenaires est une nécessité. Les VOG sont systémiques, comme l’atteste le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. Pour induire une prise de conscience générale et en finir avec l’impunité, il faudrait nommer expressément les VOG dans la loi. C’est l’objet de la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale, à laquelle nous avons participé et que nous appelons à soutenir.

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Les soignants ne sont pas épargnés par les VSS dans la santé. Avec #MeTooHôpital, #MeTooMédecine, les témoignages affluent. Une femme médecin sur trois déclare avoir subi des actes inappropriés à connotation sexuelle ou des attouchements sans consentement, selon une étude publiée dernièrement. L’omerta, la confraternité poussent au silence et font supporter l’inacceptable allant à l’encontre de ses propres valeurs quand on choisit de faire un métier dans le soin. Ne plus y trouver de sens peut provoquer un burn-out, une dépression, obligeant parfois à se détourner de sa vocation.

Il faut prendre la mesure de l’ampleur de la dénonciation et des scandales actuels.

La perpétuation des VSS dans la santé, l’absence de protection des victimes et de sanction envers les agresseurs mettent en danger la capacité des soignant·es à exercer leur métier et entraînent la défiance des patientes, au risque qu’elles renoncent à tout suivi médical. Pour restaurer la confiance, il faut prendre la mesure de l’ampleur de la dénonciation et des scandales actuels en mettant en place des mesures concrètes. Il faut agir de manière éthique en garantissant la sécurité des patient·es et des professionnel·les de santé. Un agresseur ne sera jamais un bon collègue, ni un bon supérieur, ni un bon médecin. Ensemble, main dans la main, professionnel·les de santé, patient·es et soignant·es, mettons fin aux VSS dans la santé.


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