Police : Une fronde factieuse

Tous les soirs ou presque, des dizaines de policiers en service manifestent en uniforme et en armes contre ce qu’ils appellent le « lâchage » du gouvernement.

Michel Soudais  • 30 juin 2020
Partager :
Police : Une fronde factieuse
© Samuel Boivin / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Le pouvoir macronien tient-il encore la police ? Tous les soirs ou presque, un peu partout en France et depuis plusieurs semaines, des dizaines de policiers en service manifestent en uniforme et en armes avec leurs véhicules sérigraphiés, gyrophares allumés et parfois sirènes hurlantes, contre ce qu’ils appellent le « lâchage » du gouvernement. Ces rassemblements sauvages – nom de code #nuitsbleues sur les réseaux sociaux –, normalement proscrits, au nom du devoir de réserve, n’ont jusqu’ici donné lieu à aucune interpellation ni sanction. Ce qui contraste avec le traitement du moindre rassemblement du mouvement social. Didier Lallement, le très répressif préfet de police de Paris, a étonnamment prétendu devant une commission d’enquête parlementaire « ne pas avoir trouvé les organisateurs » de ces défilés nocturnes (lire De bonne humeur).

Ils ont pour origine les déclarations de Christophe Castaner, le 8 juin. Le ministre de l’Intérieur y annonçait la suspension automatique des agents qui feraient l’objet d’un « soupçon avéré » (sic) de racisme ainsi que la fin de l’enseignement d’une méthode d’interpellation dite « clé d’étranglement ». C’est, avec le plaquage ventral et le pliage, une des « trois techniques d’immobilisation qui étouffent et tuent », dont des collectifs de proches de victimes de violences policières ont réitéré la semaine dernière la demande de suppression dans une lettre à Emmanuel Macron. Une technique dont la dangerosité a encore été éprouvée par une gardienne de la paix gravement blessée aux cervicales par un collègue (Le Parisien, 25 juin).

Les motivations des « policiers en colère », comme ils se désignent, vont donc au-delà de l’expression d’un « mal-être » de troupes épuisées à force d’être trop sollicitées. Leur refus de reconnaître l’existence de « violences policières » et leurs pressions sur le pouvoir pour que celui-ci continue à les nier traduit une inadmissible revendication d’impunité. Le 24 juin, 200 policiers strasbourgeois ont déposé leur bâton de défense après la condamnation d’un des leurs à 18 mois de prison avec sursis pour avoir matraqué une « gilet jaune » de 62 ans.

En s’abstenant de réagir face à ce qu’il faut bien appeler une fronde factieuse, le gouvernement ne peut qu’encourager le développement d’une radicalisation liberticide des forces de l’ordre. Visible dans les attaques de plusieurs syndicats contre des avocats, des politiques et des journalistes sur les réseaux sociaux, cette radicalisation a pris un nouveau tour le 25 juin quand des dizaines de policiers ont manifesté devant le siège de Radio France. Une intimidation physique dont la gravité devrait alerter tous les démocrates.

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

La fin du mythe de  la méritocratie 
Parti pris 17 décembre 2025

La fin du mythe de  la méritocratie 

La méritocratie continue d’être brandie comme la preuve que tout serait possible pour qui « se donne les moyens ». Mais ce discours, qui ignore le poids écrasant des origines sociales, n’est rien d’autre qu’un instrument de culpabilisation. En prétendant récompenser le mérite, la société punit surtout ceux qui n’avaient aucune chance. Voici pourquoi le mythe s’écroule et pourquoi il faut enfin le dire.
Par Pierre Jacquemain
Le « sales connes » qui cache la forêt
Parti pris 13 décembre 2025

Le « sales connes » qui cache la forêt

L’insulte surmédiatisée de Brigitte Macron envers des militantes féministes doit nous indigner… Sans nous faire perdre de vue la stratégie d’inversion de la culpabilité mise en place par Ary Abittan.
Par Salomé Dionisi
Budget : le renoncement socialiste
Parti pris 9 décembre 2025

Budget : le renoncement socialiste

Le Parti socialiste, qui avait retrouvé une cohérence en renouant avec la gauche au moment de la Nupes, semble aujourd’hui s’égarer à nouveau. En validant la trajectoire gouvernementale, il fragilise tout le camp progressiste.
Par Pierre Jacquemain
Bardella, l’œuf et la peur
Parti pris 2 décembre 2025

Bardella, l’œuf et la peur

En quelques jours, le président du RN a été aspergé de farine et a reçu un œuf. Pour certains commentateurs, nous serions entrés dans une ère de chaos où la démocratie vacille au rythme des projectiles de supermarché. Ce qui devrait plutôt les inquiéter est la violence d’une parole politique qui fragilise les minorités, les élus et l’État de droit.
Par Pierre Jacquemain