La lutte contre la relance du nucléaire s’organise

Jeudi 16 février, quelques dizaines de collectifs antinucléaires se sont réunis à Tours pour manifester contre la relance du nucléaire à marche forcée du gouvernement, dénonçant un déni démocratique.

Rose-Amélie Bécel  • 20 février 2023
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La lutte contre la relance du nucléaire s’organise
Jeudi 16 février, près de 200 militants antinucléaires se sont mobilisés à Tours.
© Rose-Amélie Bécel

Sur l’autoroute entre Paris et Tours, le coffre bardé de stickers « Nucléaire ? Non merci » de la voiture d’Anne-Marie, Bernard et Chantal trahit leur destination. Ce 16 février, ils ont rendez-vous en Indre-et-Loire pour retrouver près de 200 autres militants antinucléaires. Ensemble, ils protestent contre la politique de relance du nucléaire que le gouvernement prépare à marche forcée.

« Je suis opposé au nucléaire depuis très jeune, au moment où c’était encore associé à la guerre, à Hiroshima et Nagasaki. Je suis redevenu militant actif dès la première explosion à Fukushima le 11 mars 2011 », raconte Bernard, professeur de mathématiques à la retraite. Une catastrophe marquante, qui l’a conduit avec sa compagne Anne-Marie et leur amie Chantal à rejoindre le collectif Arrêt du nucléaire.

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Prolongation de la durée de vie des centrales, projet de construction de six EPR (1), création d’un site d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure… À Tours, ceux qui militent souvent depuis l’installation des premiers réacteurs sur le territoire reprennent aujourd’hui le chemin de la contestation.

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Conçus dans les années 1990, les EPR sont des réacteurs nucléaires de troisième génération, plus puissants que les réacteurs de l’actuel parc nucléaire français. En France, un seul réacteur de ce type est actuellement en construction, à Flamanville (Manche).

Un débat public en trompe-l’œil

Le lieu des retrouvailles des militants n’a pas été choisi par hasard. Le 16 février, Tours devait aussi accueillir une séance du débat public sur le nucléaire, lancé le 27 octobre pour recueillir l’avis des citoyens sur la construction de six EPR.

Mais cette séance et les suivantes ont été annulées par la Commission nationale du débat public (CNDP), contrainte de modifier les modalités du débat qu’elle organise. La raison ? Avant même la fin du débat public prévue le 27 février, la construction des nouveaux réacteurs se concrétise dans la loi.

À Tours, les militants antinucléaires se sont inspirés des slogans des opposants à la réforme des retraites, en scandant dans le cortège : « Nos centrales ont mérité une bonne retraite ».

Fin janvier, le Sénat a en effet adopté un projet de loi relatif à « l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires ». Initialement, le projet soumis par le gouvernement relevait de questions techniques, sans lien direct avec le débat public en cours, mais deux amendements introduits au Sénat ont dépassé ce cadre.

Alors qu’une loi de 2015 fixait la part de nucléaire dans le mix électrique à 50 % maximum, le premier amendement en fait un pourcentage minimum. Le second amendement supprime l’obligation de limiter la puissance du parc nucléaire à 63,2 gigawatts. Avant la fin du débat public, les limites que la loi posait à la construction de nouvelles centrales ont donc sauté.

Ces amendements touchent à l’orientation de la politique nucléaire.

« Ces amendements vont au-delà des questions de procédures, ils touchent à l’orientation de la politique nucléaire. Le projet de loi doit encore être examiné par l’Assemblée nationale en mars ou en avril. On peut donc dire que rien n’est encore définitif, mais la crédibilité du débat public a été nettement atteinte », déplore Michel Badré, président du débat public sur le nucléaire.

Un problème démocratique

Dans un communiqué du 8 février, la CNDP a annoncé modifier l’objet du débat public en cours. Au lieu d’interroger les citoyens sur l’opportunité de construire six EPR, le débat posera la question de la place que doit avoir le public dans la gouvernance des projets nucléaires.

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Exit les réunions physiques, par manque de temps la CNDP propose aux citoyens de répondre à un questionnaire en ligne. Le 27 février, jour de la clôture du débat, les réponses seront analysées lors d’un séminaire. « Le bilan du débat s’appuiera aussi sur l’expérience de ces derniers mois, tout n’est pas perdu », précise Michel Badré. Mais la poursuite cahin-caha du débat ne trompe pas : la relance du nucléaire s’organise dans le déni démocratique.

Remettre en cause le dogme du nucléaire conduit à se faire attaquer de toutes parts.

Un constat partagé par la députée EELV Marie Pochon, élue de la 3e circonscription de la Drôme sur laquelle se situe la centrale nucléaire du Tricastin : « Il y a un clivage entre ceux qui essayent de se saisir des outils de participation et un exécutif de plus en plus sourd et véhément face aux alertes des citoyens. On tend à la criminalisation et à la délégitimation de la parole des militants. Remettre en cause le dogme du nucléaire, poser des limites à sa relance, conduit à se faire attaquer de toutes parts. »

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En octobre dernier, l’élue écologiste avait saisi la CNDP – avec le soutien d’une centaine de députés – pour demander la tenue d’un débat public sur la place du nucléaire dans le mix énergétique de demain, plus large que celui proposé sur la construction de nouveaux EPR. Une demande rejetée, notamment car un débat lancé par l’État sur cette question, en parallèle de celui de la CNDP, était déjà en cours.

Chevauchement des calendriers

En effet, entre le 20 octobre et le 18 janvier, l’Etat a organisé une concertation – en ligne et via des réunions publiques – sur l’orientation que devait prendre le futur mix énergétique de la France. L’initiative est restée confidentielle alors qu’elle posait les questions essentielles de la sobriété et de la place des énergies renouvelables, absentes du débat mené par la CNDP.

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Les résultats de cette concertation précèdent l’élaboration d’une autre loi décisive sur le futur énergétique de la France : la loi de planification pluriannuelle sur l’énergie et le climat. Elle devra être votée cet été par le Parlement et donnera les grandes orientations de la politique énergétique française. Mais, alors que la relance de l’atome se prépare déjà ce mois-ci dans le projet de loi sur l’accélération du nucléaire, cette planification prévue pour l’été apparaît bien moins utile.

« Mener ces deux débats en parallèle, c’est segmenter deux sujets qui devraient être discutés ensemble. Le chevauchement des calendriers donne peu de visibilité aux débats, brouille complètement leur sujet et renforce le déni de la nécessité de débattre de la sobriété et du 100 % renouvelables », analyse Yves Marignac, chef du pôle énergies nucléaire et fossiles de l’institut NégaWatt

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Pourtant, choisir de relancer le nucléaire engage la France pour les siècles à venir, alerte Yves Marignac : « Exploiter six EPR devrait nous mener jusqu’en 2200, ce qui nécessite la maîtrise de cette technologie sur un temps long. Les EPR en service en 2030 seront en concurrence avec des énergies renouvelables déployées en 2030. Avec les progrès actuels du solaire et de l’éolien, il est clair qu’à ce moment la technologie des EPR sera déjà obsolète. » 

Chaque euro investi dans ces EPR est perdu pour des actions qui donneraient un résultat rapide.

Ce nouveau programme nucléaire devrait également coûter plus de 50 milliards d’euros selon EDF (2). « Chaque euro investi dans ces EPR, qui ne donneront des résultats que dans une quinzaine d’années, est perdu pour des actions qui donneraient un résultat rapide comme le déploiement des énergies renouvelables ou la rénovation énergétique », défend Yves Marignac.

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Une estimation à prendre avec des pincettes, tant EDF avait sous-évalué les coûts du chantier de l’EPR de Flamanville. En 2007, au début du projet, la construction du réacteur devait prendre 5 ans pour un montant de 3,3 milliards d’euros. Aujourd’hui la mise en service de l’EPR est estimée au premier trimestre de 2024, pour un montant de 19,1 milliards d’euros selon un rapport de la Cour des comptes.

À Tours ce 16 février, c’est contre ce discours qui pose le nucléaire comme solution miracle pour décarboner notre mix énergétique, que les militants clament en chœur : « Le nucléaire ne sauvera pas le climat ! ».

Camila Curi, présente dans le cortège en tant que coordinatrice du Réseau Sortir du nucléaire, s’inquiète : « On constate que les arguments pronucléaires reprennent de la force, notamment autour de l’idée que construire des centrales est le seul moyen d’atteindre nos objectifs climatiques. » 

Yosomono net, collectif de ressortissants japonais en Europe créé après la catastrophe de Fukushima, était présent à la manifestation. Sur leur banderole est inscrit : « Adieu le nucléaire ».

Nouvelles générations

Face à l’offensive du gouvernement, les opposants au nucléaire cherchent à attirer de nouveaux militants. « Cette manifestation à Tours, c’est un début de quelque chose, parce qu’il y avait un abattement. Le combat antinucléaire est aussi vieux que les centrales, on a encore du mal à faire le lien avec les plus jeunes générations », note Angélique Huguin, opposante au projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure.

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C’est justement dans la bataille contre ce chantier pharaonique que le lien entre les différentes générations de militants se fait. « Là où le nucléaire veut s’imposer de manière violente, sur un territoire pauvre », rappelle Angélique Huguin. Le 3 juin prochain, c’est aussi là que les militants antinucléaires appellent à un rassemblement européen, pour faire converger les luttes environnementales.

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